23 juillet 2014

Collection de citations : l'espace de l'installation

L’œuvre n’est pas seulement in situ mais hors d’elle-même, cessant pratiquement d’exister comme entité autonome et devenant inséparable de son cadre.
Itzhak Golberg, Installations, 2014, p.16

Avec l’installation, la scénographie, le choix du site – parfois à l’écart du circuit artistique -, les rapports internes entre les éléments, l’arrangement des pièces ou des objets, la position du spectateur comme corps percevant – présent à l’œuvre et mis en situation avec elle -, sont des composants actifs et indispensables de cette manifestation, conçue comme un tout, souvent inséparable de son lieu. Cet espace spécifique n’est plus un vide neutre et discret mais un nouveau contexte d’intervention, défini par une construction architecturale investie et parfois restructurée par l’œuvre. Réalité physique, l’espace va être intégré à l’œuvre et directement façonné par l’artiste, qui le redessine ou qui opère sur lui des transformations déterminantes.
Itzhak Golberg, Installations, 2014, p.31

Avec l’installation, œuvre souvent fragmentée, cette interaction avec le lieu est volontaire et recherchée, car elle prend en compte non seulement les composantes, mais aussi les distances, les écarts qui les séparent, les intervalles qui se transforment en interstices sensitifs, bref l’ensemble des rapports spatiaux. Elle privilégie la relation : relation entre l’acte artistique et l’espace de représentation, entre l’artiste et les acteurs de l’exposition, entre les arts visuels et les arts de la scène, entre l’exposition et sa réception, entre l’art et la vie. L’installation n’est pas un objet autonome mais un ensemble de rapports complexes entre l’objet d’art, l’artiste et le public. Utilisant en entier l’espace alloué, elle l’interroge, le déborde ou le transgresse.
Itzhak Golberg, Installations, 2014, p.33

L’installation est le cadre d’une représentation où le projet laisse la part à l’imprévisible.
Itzhak Golberg, Installations, 2014, p.55

Avec l’installation, l’espace est étudié non pour le délimiter mais pour le déborder. L’importance des modifications que doit subir l’espace fait parfois que la qualité esthétique spécifique des composants qui l’occupent devient secondaire, car ils sont là avant tout comme «outil visuel» (Buren) dont la fonction subtile est de révéler, par leur emplacement, les caractéristiques du lieu qu’ils investissent. Les structures de l’architecture occupée sont réactivées, pour ainsi dire remodelées. Les éléments prennent ainsi une fonction signalétique, déterminée par l’artiste.
Itzhak Golberg, Installations, 2014, p.76-77

Cependant, transformation réelle ou symbolique, dans un cas comme dans l’autre, le travail artistique tente d’investir l’espace d’un nouveau sens, le plus souvent en décalage avec celui qu’on lui connait. (…) L’espace fabriqué ici est un espace mental, chargé d’associations universelles, suggérant une dimension poétique à partir de laquelle le visiteur sera libre de construire sa propre fiction.
Itzhak Golberg, Installations, 2014, p.81

L’installation est une structure aux foyers visuels pluriels, continus ou discontinus, contradictoires et complémentaires, introduisant un espace élargi que l’œil est invité à balayer sans qu’on lui impose une hiérarchie déterminée. Cet espace fragmenté, parfois de nature tentaculaire, plus qu’un lieu de perception, est un trajet que le spectateur est censé expérimenter et dans lequel son corps peut occuper progressivement des positions diverses. Ce n’est qu’au terme d’une telle lecture que peut se dégager une synthèse de cette série d’impressions relativement autonomes, et une appréhension globale de l’œuvre. Appréhension qui procède par associations thématiques et par liens aléatoires, plutôt que selon des classifications traditionnelles du savoir, de la chronologie et de la hiérarchie. Ce qu’on retient et qu’on reconstruit imaginairement, c’est l’expérience où la trajectoire prime sur la forme.
Itzhak Golberg, Installations, 2014, p.120

Collection de citations : l'espace de l'oeuvre d'art

L'action de la main définit le creux de l'espace et le plein des choses qui l'occupent. Surface, volume, densité, pesanteur ne sont pas des phénomènes optiques. C'est entre les doigts, c'est au creux des paumes que l'homme les connut d'abord. L'espace, il le mesure, non du regard, mais de sa main et de son pas. 
H. Focillon, Vie des formes, 1943, p. 108

L'espace est le lieu de l'oeuvre d'art, mais il ne suffit pas de dire qu'elle y prend place, elle le traite selon ses besoins, elle le définit, et même elle le crée tel qu'il lui est nécessaire. L'espace où se meut la vie est une donnée à laquelle elle se soumet, l'espace de l'art est une matière plastique et changeante. 
H. Focillon, Vie des formes, 1943, p. 26

Le flux d'énergie entre les différents concepts de l'espace que véhiculent l'oeuvre d'art et l'espace que nous, spectateur, nous occupons, est l'une des fondamentales, mais l'une des moins comprises, du modernisme. L'espace moderniste redéfinit le statut de l'observateur, replâtre l'image qu'il a de lui-même. Il se pourrait que ce soit la conception moderniste de l'espace, et non son contenu, que le public perçoive – à juste tite – comme une menace.
B. O'Doherty, White Cube (...), 2010, p.64

Que dit l'art du monde où nous vivons, et en dit-il quelque chose? Ou bien cherche-t-il d'autres espaces, pluriels, composites? À moins qu'il ne s'offre lui-même comme alternative habitable. S'agirait-il de faire la description de ces mondes autres? De dessiner les contours d'autres formes d'évidences? Si nous sommes avec l'art dans l'espace de la fiction, cet espace recouvre-t-il l'étendue du monde sensible, comme sa traduction décalée, ou découvre-t-il ce qui n'est pas, mais pourrait être? En ce cas, quelle correspondance existe-t-il entre le caché, le voilé, le possible d'une part et l'évident, le réel, le visible d'autre part?
A. Cauquelin, À l'angle des mondes possibles, 2010, p.14

(In situ) Il semble que l'artiste s'attache à modifier un espace donné et ses valeurs de perception et d'échelle au simple niveau des sensations physiques et visuelles. Mais très vite, un seuil, immatériel, est franchi par ces structures praticables mais aussi déraisonnables et poétiques, dont l'incongruité incite à la circulation et, concurremment, pousse notre esprit vers un imaginaire, spatiale et instable à la fois.
N. Descendre, Trous Noirs et entropie dans Fabricateurs d'espaces, 2010, p.28

Tout outil ou dispositif de mesure spatiale mettant en question une forme de trouble de la perception crée un cabinet d'expérience cosmique (symétrique à celle des cabinets de curiosités) et agit comme un accélérateur de compréhension de ce qui nous échappe magistralement dans le monde qui est le nôtre, coincé entre le microscopique et le macroscopique.
N. Descendre, Trous Noirs et entropie dans Fabricateurs d'espaces, 2010, p.29

(À propos du travail de Hans Schabus) L'oeuvre correspond le plus souvent à la conquête d'un territoire, qui peut être le lieu d'exposition, l'atelier, la maison ou le monde : il incarne une figure d'envahisseur dont le royaume est partout. Cependant, l'atelier reste pour lui le modèle de l'activité artistique : « l'atelier est le royaume de l'expérience où le royaume de la réalité est transformé en royaume du possible ». 
Anne Bonnin, La conquête du cube blanc dans Fabricateurs d'espaces, 2010, p.37

Collection de citations : l'espace philosophique

Nous sommes dans un extérieur qui porte des mondes intérieurs.
P. Sloterdijk, Bulles (...), 2010, p. 31

L'espace jadis intime, symbolique, parcouru par un unique motif, s'ouvre dans le neutre divers et multiple où la liberté n'est préservée qu'au prix de l'étrangeté, de l'indifférence et de la pluralité.
P. Sloterdijk, Bulles (...), 2010, p. 58

Dans le langage de tous les jours, nous confondons joyeusement espace, lieu, site, endroit, ici, là, terrain, territoire, étendue, longueur, environnement, milieu, nature, paysage, site... Généralement, ces termes servent à désigner des emplacements plus ou moins précis, emboités les uns dans les autres. Leur classement se fait, curieusement, selon une hiérarchie dont la clef est l'ordre de l'espace... espace est plus grand que lieu, et l'emboîte, alors que le lieu emboîte à son tour le site ; ce dernier enveloppe le « ici » qui introduit une notion de temps et s'oppose au « là-bas », nettement plus flou mais appartenant quand même au lieu ou au site ; le plus petit entre dans le plus grand à la manière des poupées russes. Ce classement, s'il est d'un usage aisé et répond à l'utilisation vernaculaire dans sa simplicité expéditive, offre la structure tautologique qui plait si fort au sens commun, car elle est inattaquable ; en effet, les espèces d'espaces obtiennent pour seule définition d'être classés selon leur étendue relative, c'est-à-dire selon l'espace.
A. Cauquelin, Le site et le paysage, 2002, p.74

(Deux moments d'espace)  De quoi s'agit-il? D'une répartition des propriétés spatiales entre deux pôles opposés : l'un appartenant à l'étendue – c'est l'espace géométrique, général qui permet de définir une position – et l'autre référant à un ensemble plus complexe, en temps, milieu et espace — c'est le propre, qui définit une singularité. Ces deux pôles s'opposent dans le discours, par exemple, une succession bien formée de propositions et l'interruption d'images qui viennent trouer cette succession. Concepts contre métaphore. Espace géométrique contre lieu propre.
A. Cauquelin, Le site et le paysage, 2002, p.75

Il y a espace dès qu'on prend en considération des vecteurs de direction, des quantités de vitesse et de variable de temps. L'espace est un croisement de mobiles. Il est en quelque sorte animé par l’ensemble des mouvements qui s'y déploient. Est espace l'effet produit par les opérations qui orientent, le circonstancient, le temporalisent et l'amène à fonctionner en unité polyvalente de programmes conflictuels ou de proximités contractuelles. L'espace serait au lieu ce que devient le mot quand il est parlé, c'est-à-dire quand il est saisi dans l'ambigüité d'une effectuation, muée en un terme relevant de multiples conventions, posé comme l'acte d'un présent (ou d'un temps), et modifié par les transformations dues à L’espace est un croisement de mobile, des voisinages successifs. À la différence du lieu, il n'a donc ni l'univocité ni la stabilité d'un « propre ».
M. de Certeau, L'invention du Quotidien. Art de faire. 1990, p.173

Collection de citations : l'espace géométrique et architectural

Un point géométrique est infiniment petit. L’espace géométrique est donc une infinité de composants infiniment petits. Tout figure dans l’espace, contient une infinité de points : une figure d’un nombre fini de points, dans cet espace, est, par définition, impossible.
Y. Friedman, L’ordre compliqué, 2008, p.26

Collection de citations : l'espace anthropologique et géographique

L'homme est maintenant en mesure de construire de toutes pièces la totalité du monde où il vit : ce que les biologistes appellent son « biotope ». En créant ce monde, il détermine en fait l'organisme qu'il sera.
E. T. Hall, La dimension cachée, 1971, p.17

La perception de l'espace n'implique pas seulement ce qui peut être perçu mais aussi ce qui peut être éliminé. Selon les cultures, les individus apprennent dès l'enfance, et sans même le savoir, à éliminer ou à retenir avec attention des types d'information très différents.
E. T. Hall, La dimension cachée, 1971, p.65

Le sens de son orientation correcte dans l'espace est ancré dans les profondeurs de l'homme. Ce type de connaissance engage en dernière analyse sa vie même et sa santé mentale. Être désorienté dans l'espace est une aliénation.
E. T. Hall, La dimension cachée, 1971, p.134

(...) Chez l'homme, le sens de l'espace et de la distance n'est pas statique et qu'il a très peu de rapports avec la perspective linéaire élaborée par les artistes de la Renaissance et encore enseignée de nos jours dans la majorité des écoles d'art et d'architecture. Bien plutôt, les hommes ressentent la distance de la même manière que les autres animaux. Sa perception de l'espace est dynamique parce qu’elle est liée à l'action — à ce qui peut être accompli dans un espace donné — plutôt qu'à ce qui peut être vu dans une contemplation passive.
E. T. Hall, La dimension cachée, 1971, p.145

Il y a en effet pour chaque être humain, une structuration propre de son rapport à la réalité ; une structuration qui vaut pour son regard comme pour les mots et les images qui prolongent, qui représentent son regard. Et à une autre échelle, au-delà de chaque individu, il y a une structuration propre du rapport des sociétés à la réalité de leur environnement.
A. Berque, Les raisons du paysage, 1995, p.15

L’échelle tactile est celle où nous mouvons, où il nous est nécessaire de nous reconnaître avec précision (…). Cette échelle ne nous limite pas à nous-mêmes, mais englobe aussi les dimensions des activités de nos instruments (…). Cette échelle tactile est la zone à l’intérieur de laquelle la confrontation des informations imprécises, transmises par l’œil, doit correspondre aux images enregistrées dans notre mémoire pour nous permettre de nous mouvoir aisément. L’espace peut être animé, mais nous truqué, tout au moins dans une mesure qui reste soumise aux nécessités quotidiennes d’appréciation des distances. Au-dessus de l’échelle tactile se situe l’échelle visuelle, c’est-à-dire une zone où les phénomènes, même s’ils nous procurent des sensations diverses, ne sont que visuels. Dans celle-ci, nous n’avons pas, en principe, de raisons utilitaires de nous embarrasser de considérations de respect des volumes qui existent.
B. Lassus, La mouvance cinquante mots pour le paysage, p.57-58

Collection de citations : l'espace social

Si  l'expérience lointaine nous a appris à décentrer notre regard, il nous faut tirer profil de cette expérience. Le monde de la surmodernité n'est pas aux mesures exactes de celui dans lequel nous croyons vivre, car nous vivons dans un monde que nous n'avons pas encore appris à regarder. Il nous faut réapprendre à penser l'espace.
M. Augé, Non-Lieux (...), 1992, p. 49

Le concept d'espace recouvre l'ensemble des relations, dans tous leurs aspects matériels et idéels, établies par une société en un temps donné entre toutes les réalités sociétales distinctes.
M. Lussault, L'homme spatial (...), 2007, p.52

La politique prend naissance dans l'espace-qui-est-entre les hommes, donc  dans quelque chose de fondamentalement  extérieure à l'homme. Il n'existe donc pas une substance véritablement politique. La politique prend naissance dans l'espace intermédiaire et elle se constitue comme relation.
M. Lussault, L'homme spatial (...), 2007, p.54

La mesure de la distance est inscrite dans l'acte spatial qui induit toujours des jeux avec celle-ci. Agir, c'est jouer avec les métriques.
M. Lussault, L'homme spatial (...), 2007, p.86

Par configuration, on entend les modalités de dispositions spatiales des substances et des réalités sociales. Ce qui caractérise un espace n'est donc pas seulement ce qu'il déploie, n'est pas uniquement les découpes scalaires qui peuvent lui être appliquées, ou les métriques qu'on peut y constater, mais aussi les modalités d'organisation de tout cela en un agencement formel, qui implique une économie relationnelle entre les objets agencés. (...) La configuration est à la fois mise en forme et mise en relation, l'une et l'autre indissociablement liées (...).
M. Lussault, L'homme spatial (...), 2007, p.87-88

Collection de citations : l'espace quotidien

Notre regard parcourt l'espace et nous donne l'illusion du relief et de la distance. C'est ainsi que nous construisons l'espace : avec un haut et un bas, une gauche et une droite, un devant et un derrière, un près et un loin.
G. Perec, Espèces d'espaces, 1974, p.159

Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l'oubli s'infiltrera dans ma mémoire (...)
G. Perec, Espèces d'espaces, 1974, p.179

L'espace est un doute.
G.Perec