28 février 2013

États des lieux

Oeuvre de compagnie 1 en attente de livraison pour l'exposition bénéfice de B-312.

Projets de doctorat en développement.

Prototypes de reliure pour livres d'artiste.

Quelques dessins et esquisses

Modules et plans

Truc informe en papier

Tests d'impression numérique

Prototypes abandonnés

Modèles et prototypes

Amoncellement 1

Amoncellement 2

Dessiner dans l'espace

Bacs, modules et boîte sur une tablette

Photos : JSDR & AADB

26 février 2013

Planification : Terraformation



Voici un plan et deux esquisses pour l'exposition Terraformation qui sera présentée à l'Atelier Silex dans le cadre de la Biennale d'estampe de Trois-Rivières cet été. L'espace de la galerie est ouvert et dégagé. En plus de l'ouverture à l'entrée, il y a une porte de secours et une autre qui mène à un escalier. L'installation se déploiera au plancher. Mon intention est de suggérer la formation de plusieurs amas de terre au sol à travers lesquels nous pourrons circuler.



Planification : La chambre matricielle


Voici un plan et quelques esquisses pour l'exposition La chambre matricielle qui sera présentée à la Maison des artistes visuels francophones à Winnipeg cet été. L'espace de la galerie est complexe, deux salles, plusieurs fenêtres et décrochés. Je vais utiliser ses particularités pour dynamiser l'espace en jouant avec les effets de superposition (d'un mur à l'autre) et de densité des motifs. Mon intention est de suggérer un parcours à l'intérieur de l'installation, un peu comme s'il était possible de marcher dans une image.





19 février 2013

L'installation modulaire : de la documentation au cahier virtuel

Dans ce texte, j'approfondirai ma réflexion sur l'articulation de la documentation en lien à l'installation modulaire. Dans un premier temps, je définirai mon approche de l'installation modulaire et j'examinerai comment le processus de documentation s'insère dans ma pratique. Je m'intéresserai plus spécifiquement à la relation entre le document photographique et l'installation. Par la suite, j'étudirai comment la publication d'images documentatives sur mon blogue de recherche Le cahier virtuel participent à la médiation de l'oeuvre. Deux axes de réflexion seront examinés : 1) le blogue de recherche en arts visuels est-il une remédiation du cahier et de la publication d'artiste; 2) quelle est l'articulation du blogue en relation aux autres emplacements de l'installation modulaire? Ce travail permettra ainsi de positionner mes principaux questionnements et cadres théoriques en lien à la problématique du séminaire.

L'installation modulaire comme processus ouvert
Je fais des tests, j’expérimente des possibles. Je reconfigure les potentialités des procédés, des matériaux, des formes et des espaces. Ma pratique vient de petites choses bricolées et accumulées : boules de papier froissé, quatre coins en papier pliés, carrés de carton emballés, etc. À partir de ces éléments que je nomme « module », je produis des structures et des systèmes. Les modules sont simples à réaliser. Ils sont habituellement produits par une suite de gestes variés qui seront ensuite répétés. Les modules n'ont pas de signification particulière. Ils sont des codes ouverts qui deviennent signifiants dans leur organisation, leur contextualisation. À titre d'exemple, un même ensemble de modules peut, selon son agencement, prendre la forme d'un amas compact évoquant une montagne, d'une prolifération plus fragmentée rappelant la croissance d'un virus, d'une accumulation organisée d'éléments s'apparentant à une planification urbaine. Ces agencements sont déterminés à partir de modèles réalisés dans l'atelier, puis improvisés dans la mise en espace de l'exposition. Cette méthode conjuguant planification et improvisation permet d'explorer plusieurs variantes et possibilités à partir d'un même matériau, d'une même forme, d'une même idée. Habituellement, la fonction d'un modèle en sculpture est extrêmement contraignante. Le modèle ne laisse pas de place à la variation mais plutôt à la copie. Cependant, dans le cas de l'oeuvre modulaire où le modèle induit plutôt un principe qu'une représentation précise de la configuration, la variation semble faire partie de la nature intrinsèque de l'oeuvre. 

Figure 1. AADB, exemples de modules et d'agencements

Selon Krauss (1997, p.276), l'oeuvre modulaire serait dépourvue « de tout ordre interne stable » et elle peut être « continuellement réarrangée ». Les modules ont la propriété de pouvoir être changés de position et de contexte. Dans cette optique, on peut supposer que l'expérience de l'oeuvre n'existe qu'au présent et peut basculer à tout moment. Cette vision de l'oeuvre modulaire s'est élaborée principalement par le travail de certains artistes minimalistes, post-minimalistes et du Process Art. Robert Morris fut l'un des premiers artistes, en 1967, à réorganiser lui-même ses sculptures de verre afin de recréer tous les jours de nouvelles configurations. D'autres artistes ont également exploré cette avenue. Barry Le Va en est un bon exemple. Le Va ne se souciait jamais à l'avance de l'aspect que ses oeuvres pouvaient prendre. Ses dessins préparatoires prenaient acte du mouvement qu'il souhaitait induire à ses installations sans fixer les différents éléments de manière déterminée. Il réarrangeait les éléments au fur et à mesure de l'exposition afin qu'ils prennent la configuration souhaitée. Pour Le Va, une possibilité d'achèvement des groupements existe, cependant il ne considère pas que tous les éléments doivent être associés ensemble pour réaliser une oeuvre. Sa procédure d'assemblage permet ainsi que les « choses soient déplacées d'un endroit à un autre », que les groupements soient modifiés (Le Va, 2005, p.49). 

Figure 2. Barry Le Va, esquisses pour une installation à la Galerie Ricke, Cologne, Allemagne, 1973

Selon Gérard Genette (2010), un artiste qui travaille à partir de la multiplication et de la répétition est davantage porté à la variation. Il produit des oeuvres « à réplique » ou des « oeuvres plurielles ». Le statut d'oeuvre ne serait pas accordé à chacun des états, répliques ou versions. C'est plutôt de l'ensemble de ces objets d'immanence qu'apparaît l'oeuvre. À ce titre, Genette évoque le cas de l'oeuvre conceptuelle qui existe par la totalité des éléments qui la composent et la transforment (Genette, 2010, 324-325). Dans cette optique, l'oeuvre à immanence plurielle se constituerait de tout ce qui la précède et de tout ce qui la suit. Elle résulterait de l'ensemble des processus, des matériaux et des actions qui la constitue. Cette conception de l'oeuvre plurielle me permet d'entrevoir l'installation modulaire à la manière d'un cycle de création, de production et de médiation ouvert, car même si les modules ne changent pas, les multiples fonctionnalités se modifient selon le contexte et l'emplacement.

« Mais les traits qui définissent l'identité d'un objet ne sont pas seulement des « propriétés internes » de composition physique, de forme ou de fonction : ce sont aussi des propriétés, externes si l'on veut, d'emplacement et de relation au site et à l'environnement. » (Genette, 2010, p.360)

L'installation modulaire ne serait donc pas une oeuvre in situ au sens habituel du terme. Il ne s'agit pas d'une « oeuvre située » à proprement parlé (Gauthier, 2010, p.12) car elle n'est pas consacrée spécifiquement à montrer et transformer les aspects d'un site. Elle n'est pas non plus une « oeuvre spacieuse » car elle n'est pas « une simple extension spatiale de l'objet d'art traditionnel » qui « absorbe le réel » (Gauthier, 2010, p.13-14). L'installation modulaire, par sa nature, serait peut-être une combinaison de ses deux approches installative. Elle s'adapte au site tout en étant l'extension de ses propres modules. L'installation modulaire serait donc fondamentalement in situ tout en étant déplaçable.

Dans ma pratique, j'entrevois l'installation modulaire tel un laboratoire spatial qui n'apparait qu'en relation à divers emplacements. À son stade de module, l'oeuvre n'existe pas. C'est au moment de sa mise en espace que les qualités spécifiques des emplacements (atelier, galerie ou autres lieux d'exposition) agissent sur la constitution de l'oeuvre. Dans cette optique, l'installation modulaire, qui est conçue spécifiquement en fonction de sa modularité, peut difficilement être présentée dans la même configuration. L'installation modulaire ne fait pas que modifier l'espace d'exposition, elle fabrique « des moments d'espace » (Cauquelin, 2002, p.75) où les sensations physiques et visuelles nous amènent à franchir un seuil immatériel. Cette pratique, à la fois in situ et processuelle, me permet de traduire en geste et en situation les évolutions d'un rapport au monde qui est « à réinventer sans cesse » (Descendre, 2010, p.26). Dès les premières versions en atelier, jusqu'aux mutations qui suivront dans le lieu d'exposition, l'installation modulaire passera par différents états. Elle se construit par fragments et par phases.

Figure 3 : AADB, Matricielle 2 en contexte d'exposition et dans l'atelier, 2011-2012

Ce processus ancré dans le présent demande une attention constante afin de percevoir les différents états de l'oeuvre et leur interaction avec les emplacements. Au fil des années, la documentation est devenue de plus en plus importante dans le processus de création, de production et de médiation de l'installation modulaire. Elle intervient dans ce mouvement triadique en produisant des résidus ou des excroissances qui prennent des formes diverses : dessins, esquisses numériques, modèles, maquettes, images photographiques, vidéographiques, animations. Mais quel est le statut de ces documents, de ces objets, de ces images? Font-ils partie des objets d'immanence de l'oeuvre modulaire? 

Le document photographique entre documentation et oeuvre
L’analyse de l’art repose historiquement sur la différenciation entre l’oeuvre et son document. L’oeuvre d’art est habituellement « l’objet d’investigation » et le document un « instrument d’investigation » ou un « matériau secondaire » (Panofsky, 1969, p.37). Les pratiques conceptuelles, in situ et processuelles des années soixante ont provoqué un changement dans la manière d’envisager la documentation et la description des oeuvres d'art. Selon Anne Moeglin-Delcroix, ce contexte a ébranlé « l’opposition traditionnelle entre l’oeuvre et le document » (2010, p.25). Pour Anne Bénichou, la nature éphémère des pratiques amène « les artistes et les institutions à documenter systématiquement les oeuvres » afin d’en assurer une transmission et une conservation (2010, p.11). Pour certains artistes l’accumulation de documents sous forme d’inventaire vient jouer un rôle significatif dans l’élaboration de leur travail. Pour d’autres, la documentation devient une stratégie de création, de diffusion, de médiation. Dans ce contexte, plusieurs documents tels que les enregistrements sonores, les vidéos, les photographies et les écrits d’artistes, rejettent cette distinction entre l’oeuvre et son document. Mais que se produit-il lorsque la documentation est absorbée dans le processus même de l’oeuvre ? Comment ces documents, au statut souvent hybride, participent-ils à l'immanence de l'oeuvre?

Pour aborder ces questions, il est intéressant de revisiter la « conception idéelle de l'art » telle que pensée par les artistes conceptuels. Pour Bénichou, la stratégie de l'art conceptuel réside dans la primauté de la documentation sur l'oeuvre d'art mais est-ce vraiment le cas? N'est-il pas plutôt le symptôme d'une transformation plus profonde qui produit un déplacement ou une multiplication des emplacements de l'oeuvre d'art? Selon Jean-Marc Poinsot, cette transformation dépendrait de deux facteurs principaux : 1) le musée n'étant pas le lieu idéal pour présenter l'art conceptuel et plusieurs autres formes d'art tel que le Land Art, les oeuvres semblent mieux se prêter à une présentation dans les pages d'un livre, dans un document ou dans des lieux alternatifs de diffusion; 2) l'oeuvre d'art reproductible telle que pensée par Walter Benjamin change le mode de réception et de médiation ce qui « affecte la nature même de l'oeuvre » (Poinsot, 1999, p.32). Cette transformation des supports et des lieux de l'oeuvre produit un changement en profondeur. Elle pousse les artistes et les institutions à repenser le rapport entre l'oeuvre et le document. 

Figure 4. Serge Tousignant, Nature morte aux oeuvres d'art, 1986

À titre d'exemple, Serge Tousignant usa de la photographie comme un processus d'enregistrement d'interventions éphémères. Il réalisa des maquettes d'atelier bricolées et assemblées. Avec la photographie, il explora la variation de la lumière et des perspectives sur ces maquettes d'atelier. L'appareil photographique modifie « la profondeur en surface », « le tactile en texture » et convertit « l'éphémère en permanent » (Dessureault, 1992, p.13). Il rend ainsi possible la mise à distance entre le moment et l'intervention dans l'atelier. La photographie permet ainsi d'établir ce qui vient avant l'oeuvre et ce qui est déjà l'oeuvre en elle-même (Campeau, 1992, p.16). Séparément, ni la maquette, ni la photographie ne sont l'oeuvre. C'est plutôt dans la relation entre l'espace de l'objet et l'espace de l'image photographique qu'apparaît l'oeuvre.

Figure 5 : AADB, Fragments d'atelier, 2009 et 2012.

L'installation modulaire et sa documentation m'ont conduite à approfondir cette cohabitation entre l'espace de l'image et l'espace de l'objet. Au fil des années, la documentation photographique est devenue de plus en plus importante dans ma pratique. Elle fut d'abord un moyen d'enregistrer le processus de création, de production et de diffusion de mes oeuvres installatives, mais avec le temps, la photographie est devenue un outil essentiel de saisie des multiples expérimentations en atelier. Ces expérimentations prennent la forme de prototypes d'installations ainsi que de mises en relation de différents objets et de modèles. Les images résultant de ces interventions présentent des moments où quelque chose se passe « entre ce qui est fait » dans l'atelier et « ce qui est vu » dans l'appareil, ce qui produit des images au statut ambigu qui peuvent changer selon le contexte de présentation. 

Il semble également important de relever qu'à la différence de Serge Tousignant qui travaillait avec la photographie analogique, je travaille avec la photographie numérique. L'image n'a ainsi plus besoin d'être imprimée pour être vu. Elle peut-être présentée à partir de différentes interfaces et sur différents supports (imprimée sur papier, projeté sur un mur, visualisé sur un écran). La photographie n'a ainsi plus le même statut de « permanence » car elle est composée « de données modifiables » qui font « partie prenante d’un flux continu et virtuel » (Tremblay, 2007, p.41). La photographie numérique est fluide, mobile et ses possibilités de médiation sont multiples. Il devient maintenant impensable de regarder une image numérique « sans être conscient que celle-ci ne reflète qu'un seul des états transitionnels de l'image inscrite dans un processus de transformation virtuellement sans fin » (Tremblay, 2007, p.41). 

« Il est paradoxal que l'image numérique, participant à un processus de dématérialisation de l'oeuvre d'art, devienne, par son extrême malléabilité, d'autant plus matériau. Matériau, échantillon du réel qui, comme le son numérisé, se prête à la copie et à la manipulation. (...) Il est étape dans une multitude d'étapes possibles. » (Tremblay, 2007, p.41)

J'entrevois ainsi ces documents photographiques comme de multiples moments d'espace qui me permettent de garder la trace de l'évolution des expérimentation, tout en permettant que l'image devienne un matériau pour un nouveau cycle de création. Ainsi, l’installation modulaire, tout comme son document photographique, n’est plus rattachée à une réalité d’objet unique. Cette perspective me permet d'entrevoir que l'oeuvre soit abordée à la manière d'un cycle qui permet d'investir divers contextes spatiaux et temporels. 

Les fonctions du blogue du créateur-chercheur
Mon travail est souvent en état d'inachèvement. J’accumule papiers, retailles, cahiers, maquettes, esquisses, plans, modèles, photographies d'atelier, vidéos d'expérimentation. Ces éléments doivent être classés et archivés tout en restant accessibles. Documents d’archives ou matière résiduelle, ils constituent pour moi des ressources. Mon intérêt pour le blogue émane de ce contexte. En 2007, j'ai donc débuté la publication d'un blogue de recherche, de réflexion et d’expérimentation. Le cahier virtuel propose des états de la pratique, celui du travail en train de se faire, en train de se dire. Il répond à une nécessité de consigner les pensées et les expériences. J’y publie des documents issus de ma recherche pratique et théorique. Le blogue devient ainsi un geste, un engagement sur mon quotidien d'artiste et de chercheur tout en devenant une extension de l’atelier. Mais comment entrevoir ce nouvel espace? Quelles sont les fonctionnalités principales de ce blogue de recherche? Quel est son statut? Est-ce une remédiation du cahier ou de la publication d'artiste, un nouvel espace de création, un nouvel emplacement pour l'oeuvre? La pratique du blogue change-t-elle mon rapport à la documentation, à la création?

J'utilise plusieurs cahiers. Un par période de production, parfois un par projet. Mes cahiers m’accompagnent partout. Ils sont des « ateliers portatifs ». Ils me permettent de garder le fils entre mes idées. Mais pourquoi utiliser un cahier virtuel en plus des cahiers traditionnels? Tout d'abord, l’interface du blogue permet de rassembler différents documents numériques issus de sources diverses. Dans ma pratique, j’utilise plusieurs interfaces et outils de production. Je passe de l’appareil photographique au scanneur, du crayon graphite à tablette graphique, de la souris à l’exacto, de l’impression jet d’encre à l’impression en sérigraphie, de la tablette électronique au livre. Les gestes liés aux appareils technologiques sont intégrés dans ma pratique au même titre que les gestes de nature analogues. Mes matériaux étant de sources diverses, le cahier traditionnel ne peut plus rendre compte de l'ensemble de la recherche. Il répond à des besoins de consignation au quotidien, mais il n’arrive pas à rendre accessibles les fragments de recherche qui sont de source technologique. Le cahier virtuel permet de résoudre, en partie, cette problématique. La séquence vidéo peut ainsi côtoyer des notes textuelles, des images documentatives, des schémas, etc. L'une des fonctions principales du blogue de recherche, en continuité avec la fonction du carnet de notes et du cahier de bord, serait donc de consigner des réflexions et des documents issus d'un processus de création et de production.

Figure 6 : Cahier de notes 2008-2009 et Le cahier virtuel

Le cahier virtuel permet cependant d’autres fonctionnalités qui sont de l'ordre de la diffusion et de la médiation. Afin de poursuivre cette analyse, il est intéressant de relever certaines réflexions sur le livre et la publication d'artiste. Selon Sylvie Alix (2007), la publication d'artiste aurait pour premier rôle de « faire revivre l’esprit de la démarche de l’artiste au terme d’une période de production ». L’aboutissement de la recherche et la réalisation d'une oeuvre seraient, dans beaucoup de cas, les éléments déclencheurs des projets artistiques sous forme d'édition. La publication étant rarement la pratique unique des artistes, elle serait habituellement abordée en complémentarité à une autre pratique notamment dans le cas des démarches littéraires, photographiques, vidéographiques, performatives et installatives. Pour Moeglin-Delcroix, la publication d'artiste est devenue « un moyen de dématérialiser l’art tout en gardant un espace d’art » (1995, p.151). En acceptant dès lors que « l'oeuvre d'art communique de l'information » (Bénichou, 2010, p.57), les documents tels que les livres peuvent être utilisés comme des véhicules de réflexion permettant une diffusion et une médiation de l’oeuvre. Cette transformation de l'oeuvre-objet à l'oeuvre-information permet d'entrevoir de nouveaux espaces de création et de diffusion et ainsi d'effacer « la différence entre [les] espaces de production et de reproduction » (Buchloh, 1992, p.180). 

Par exemple, pour les artistes conceptuels et les artistes du Land Art, les publications d’artiste sont des outils privilégiés pour le développement de pratiques éphémères où la documentation de l’oeuvre devient essentielle à sa diffusion. L’oeuvre se situant au-delà de « l’expérience perceptuelle directe » du récepteur (Dupeyrat, 2008, n.p.), elle dépendrait d’un système de documentation pour parvenir à une actualisation. Jérome Dupeyrat désigne sous le terme « éditions documentatives » ce type de publications permettant le développement de pratiques éphémères où la documentation de l’oeuvre devient essentielle à sa diffusion. Ces éditions se présentent à la fois comme archive, documentation et art. Le livre est ici « médium » plutôt que « forme » (Moeglin-Delcroix, 2010, p.31). Il est l'enregistrement d’un parcours temporel qui déborde du cadre de l’exposition et de l’évènement. 

La publication numérique est, comme la publication imprimée, un véhicule de diffusion alternative permettant d’élaborer des projets artistiques intégrant des réseaux indépendants des institutions artistiques conventionnelles. Elle produit ses propres réseaux en disséminant l’œuvre sous la forme d’informations. Elle intègre les flux de productions éphémères présents dans internet en suscitant « une nouvelle créativité de type technologique » (Robert, 2007, p.184). Au même titre que l’essor du livre d’artiste dans les années 60, la publication numérique entraine une transformation de l’art en participant au « décloisonnement des réseaux informatifs traditionnels » (Robert, 2007, p.184). Elle participe ainsi à brouiller les frontières entre les disciplines et leurs lieux de diffusion respectifs.

Malgré la très grande similarité de fonctions entre les publications imprimées et les publications numériques, ces dernières ne semblent plus conformes « à la nature du livre » (sous forme de codex relié), « à sa matérialité » (par ses pages imprimés) ainsi que par « la nature linéaire des informations » qu’elles dispensent (Moeglin-Delcroix, 2006, p.35). L’hypertexte présent dans les médias électroniques permet d’opérer une transformation du concept de page et de temporalité. Selon Suzanne Leblanc, ce que change l’hypertexte n’est pas tant la page mais le livre (2007). Le concept de page ne se réduirait plus aux propriétés attribuées au livre imprimé.

« (…) la forme rectangulaire et verticale des blocs de texte qui apparaissent en séquence dans les rouleaux de papyrus et celle, rectangulaire mais horizontale, de nos « pages-écrans » informatiques et multimédias, appartiennent au continuum de la page. Un tel continuum implique que la page ne coïncide pas spécifiquement avec les caractères physiques des médias dans lesquels elle constitue une unité structurale fondamentale et entre lesquels il s’agirait alors de trouver des « super-traits » permettant de les regrouper. » (Leblanc, 2007, p.190)

La page est une manière particulière de voir le monde. Elle est l'emplacement où l’information accède à l’ordre du visuel. Il est possible d’entrevoir la « page-écran » comme « un vestige de la culture de l’imprimé voué à une disparition certaine » mais nous pouvons également l’envisager comme la remédiation d’un dispositif de présentation de l’information (Leblanc, 2007, p.190). Pour Delphine Bénézet, « les médias numériques ne peuvent transcender ce qui les a précédés ». Ils se développent ainsi dans « un constant rapport dialectique avec les médias antérieurs » (sans date). Les modalités de présentations numériques sont « les héritiers de la page » et deviennent les « nouveaux sites d’inscription de l’information » (Leblanc, 2007, 1994). Ces nouveaux espaces de création et de diffusion que permet la page-écran offrent des possibilités de remédiation inédites aux artistes tels que les carnets, les ateliers, les galeries et les musées virtuels. 

Cette remédiation repose sur la capacité de l’information à se transformer selon les contextes. Elle peut être modifiée, dupliquée (Robert, 2007, p.185). L’œuvre-information telle que conceptualisée dans les années soixante, peut être présentée à l’intérieur de publication et permet ainsi d’envisager d’autres formes, temporalités et contextes pour l’œuvre d’art. Avant l’art conceptuel, l’art avait toujours établi un lien indivisible entre l’information et son support mais avec l’utilisation des médias électroniques on assiste à une accélération de ce phénomène de mutation. La temporalité des publications numériques est en constante transformation. Le cas du blogue est particulièrement intéressant car la publication du contenu en continu peut être consultée dans divers contextes ou à travers différentes interfaces; de manière chronologique à rebours sur la page actualisée; par catégories de libellés; de manière fragmentée à travers des lecteurs ou les réseaux sociaux. La publication numérique peut également être modifiée ou effacée à tout moment. Le blogue permet ainsi une extraordinaire marge de manœuvre dans l’exploration de la temporalité et de l'emplacement de l’œuvre.

L'installation modulaire s'élabore d'abord dans l'atelier par la réalisation de modèles, d'ébauches et d'expérimentation in situ. Les modules y sont produits, testés, photographiés, classés, emballés. Par la suite, ils sont déplacés de leur lieu d'origine afin d'être réorganisés dans différents contextes d'exposition. Tout au long de ce processus, l'évolution de l'oeuvre transitera par Le cahier virtuel. Des notes, des documents, des états y seront publiés. Mais quel est le rôle du cahier virtuel? Comment participe-t-il au cycle de création, de production et de diffusion? Le blogue change-t-il notre rapport à la notion d'atelier et d'exposition? 

Afin d'aborder ces questions, il est essentiel de comprendre la distinction entre  ces deux emplacements de l'oeuvre : l'atelier et l'exposition. Selon Véronique Rodriguez, l'atelier se définit comme le « lieu d'origine du travail artistique » et s'oppose à celui de la diffusion qui se situe « au centre d'un réseau de médiations, entre le créateur et l'exposition de son oeuvre. » (2002, p.122). L'atelier serait ainsi un « lieu relativement fermé » où ne circulent que quelques privilégiés. L'exposition apparaitrait plutôt comme « un moyen de donner à voir la production artistique » qui aurait pour premier but la manifestation de « l'appréciation des oeuvres ». L'exposition serait ainsi l'un des piliers principaux de la « stratégie de reconnaissance sociale de l'artiste » (Rodriguez, 2002, p.125). 

Avant le XIXe siècle, l'atelier accomplissait cette double fonction, mais avec le développement du système marchand de l'oeuvre d'art, l'exposition a quitté l'atelier pour des lieux qui y seront entièrement consacrés : la galerie et le musée. L'atelier reste cependant un lieu important de médiation entre l'artiste et le milieu de l'art. Selon Rodriguez (2002, p.130), il remplit deux types de médiation; 1) il renverrait l'occupant de l'atelier à son statut d'artiste en l'isolant dans un espace qui l'oblige à adopter une « position singulière » et un mode de vie spécificiquement consacré à la création; 2) il influence l'oeuvre à réalisée par son espace physique, « sa localisation dans l'édifice (...), son volume architectural, sa superficie, la surface des murs disponibles, la hauteur du plafond, la disposition des fenêtres » et contraint l'artiste à « certain type de production » et à « certains formats ». Les pratiques in situ auraient cependant remis « en question l'idée de l'atelier comme lieu permanent de production de l'oeuvre d'art » (Rodriguez, 2002, p.134). Chez les minimalistes, l'art s'est produit à l'extérieur de l'atelier par d'autres mains. Pour les artistes ayant des pratiques in situ, le travail s'est effectué directement dans le lieu d'exposition. Ainsi, pour certains artistes l'exposition demeure le seul emplacement de l'oeuvre. 

Figure 7 : Publication sur Le cahier virtuel lors de l'exposition La chambre magmatique à ARPRIM

Contrairement à une vision induisant la réduction des emplacements de l'oeuvre, je m'intéresse plutôt à leur interaction, à leur complémentarité. Ma pratique de l'installation modulaire s'élabore ainsi dans une circulation entre l'espace de l'atelier, l'espace d'exposition et le blogue. Chaque espace possède des spécificités en rapport aux diverses activités et phases de l'oeuvre. La création et la production se réalisant habituellement dans l'atelier. La mise en espace, la diffusion et la médiation se produisant généralement par l'exposition. Ma pratique de l'installation modulaire, en complémentarité avec l'utilisation du blogue, procède à un brouillage des espaces de création, de production, de diffusion et de médiation. À titre d'exemple, l'atelier peut devenir un espace de diffusion et de médiation de l'oeuvre via des documents photographiques imprimés ou publiés via Le cahier virtuel, les expositions de certains projets peuvent se présenter comme des espaces de création et de production, le blogue peut remplir plusieurs fonctions en simultané à fois selon l'alternance des éléments publiés. Dans l'optique où la pratique de l'installation modulaire est un processus ouvert et changeant, Le cahier virtuel devient un espace pivot dans la construction de l'oeuvre. Il devient un passage entre l'atelier et l'exposition, entre le créateur et le public. Il est un espace hybride où se développent simultanément la création et la réflexion tout en permettant une diffusion et une médiation. Il est à la fois une partie de la pratique et un véhicule de la pratique.

« L’ordinateur définit ainsi un nouvel espace de création, lequel se situe entre le réel, l’imaginaire et le virtuel. Plus qu’un outil, il est devenu un atelier ; un atelier virtuel sans doute, qui, s’il apparaît comme une abstraction de l’atelier traditionnel, n’en est pas une distorsion mais plutôt une possible mutation… » (Dallaire, 2007, p.176)

Le cahier virtuel me permet d'être à la fois « activateur » et « observateur » de ma propre pratique. À travers un constant aller-retour, il induit des mises à distance instantanées. Il devient une plateforme d'échange entre différents milieux, universitaire, artistique, culturel et d'autres champs disciplinaires connexes. Il prévient l'enfermement dans un champ disciplinaire et ouvre un dialogue entre les disciplines et les communautés d'intérêts. Cette diffusion plus souple de la recherche-création permet de rester plus près d'un processus ouvert de création et permet d'échapper au mécanisme habituel de diffusion du système de l'art et de l'institution académique. Le partage devient ainsi le sens de la recherche-création. 

« L’objet d’art dans le contexte de la métamorphose numérique se présente potentiellement sous diverses formes, en divers formats, sous différents débits, en mode direct ou différé. On peut aussi construire un « navire informationnel » concernant sa propre pratique, le « lancer sur internet » et récolter des contacts, des invitations, des échanges, des recommandations, des propositions, des collaborations et des amitiés. » (Robert, 2007, p.187)

Ouverture
En définissant mon approche de l'installation modulaire comme un processus ouvert où la documentation vient jouer un rôle fondamental et en abordant le document photographique comme un passage entre l'espace de l'objet et l'espace de l'image, l'installation modulaire peut être entrevue à la manière d'une oeuvre plurielle à multiples objets d'immanence. À l'image de l'installation modulaire qui existe en plusieurs états et investit divers emplacements, la publication de documents sur le blogue poursuit l'élaboration de ces modalités processuelles. La remédiation du cahier et de la publication imprimée par le blogue ainsi que l'articulation entre l'atelier, l'exposition et Le cahier virtuel permet d'entrevoir quatre fonctions principales au blogue du praticien-chercheur en arts visuels : 1) la consignation de notes; 2) l'enregistrement d'un parcours temporel par les documents qui peut être modifié à tout moment; 3) la diffusion alternative qui produit son propre réseau; 4) l'hybridation des disciplines et des emplacements de l'oeuvre. Cette réflexion remet ainsi en question la linéarité habituelle de la recherche-création-production-diffusion. Elle repense la circulation de la pratique et permet d'entrevoir de nouvelle relation entre les activités et emplacements de l'oeuvre. L'installation modulaire, tout comme la publication sur le blogue, permet de sortir d'une logique de résultat pour être dans une logique de processus où les activités en continu produisent une abondance de réflexion. L'oeuvre plurielle et ses multiples objets d'immanence ne participent pas seulement à « l'édification du monde » (Arendt, 1983) mais participe à « l'instauration d'un monde commun » auquel nous participons (Grout, 2010, p.41).

Travail présenté dans le cadre du séminaire Fictions et documents avec Joanne Lalonde, septembre 2012

Bibliographie sélective
- Alix, Sylvie. (2007). Graphzines et autres publications d’artiste. Montréal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
- Arendt, Hannah. (1983). Condition de l’homme moderne. Paris : Calmann-Lévy
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La remédiation des modes de présentation de l'oeuvre : de la publication imprimée aux médias électroniques

À travers le mouvement de dématérialisation de l’œuvre d’art, les publications d’artiste seront au centre d'une transformation. L’oeuvre ne sera plus rattachée à sa réalité d’objet unique, elle pourra être reproduite dans le livre sans perdre son authenticité, son originalité. Le livre sera ainsi utilisé comme un espace conceptuel et contextuel permettant « une objectivation qui fonde la nouvelle définition de l’œuvre d’art » (Alix, 2007, p.9). Selon Anne Moeglin-Delcroix, le livre devient « un moyen de dématérialiser l’art tout en gardant un espace d’art » (1997, p.151). Il est utilisé comme un véhicule de réflexion reproductible permettant une dissémination de l’oeuvre sous forme d’informations. La publication d’artiste concrétise également la volonté de certains artistes de démocratiser le système marchand de l'oeuvre d'art. La circulation des publications remplacera parfois celles des œuvres. Le marchand d’art se transformera en diffuseur d’informations, la publication pourra devenir exposition, archive, documentation et oeuvre. Les artistes rejettent ainsi « la distinction entre ceux qui font et ceux qui savent, entre la production de l’œuvre et son commentaire » (Moeglin-Delcroix, 2006, p.193) afin de prendre la responsabilité de l’ensemble du processus de l’œuvre, de sa création à sa diffusion.

Dans le cycle actuel de décloisonnement des pratiques alliant multidisciplinarité, interdisciplinarité et transdisciplinarité, la publication d’artiste est un véhicule privilégié par les artistes. Ils produisent des livres d’artiste, des éditions documentatives, des écrits d’artiste et des catalogues. L’essor des médias électroniques et des réseaux sociaux offrent également de nouvelles avenues aux artistes tels que le livre numérique, la revue web, la publication sous forme de site, de blogue, d’applications pour appareils électroniques portables, etc. Cette multiplication des interfaces de publication permet-elle entrevoir la fonction des publications numériques en continuité à la fonction de la publication imprimée ? S’agirait-il d’une remédiation basée sur un mode de présentation des informations visuelles s’apparentant à la page et qui remplirait des fonctions similaires ? 

Pour aborder ces questions, il est souhaitable d’examiner les fonctions principales de la publication d’artiste. Selon Sylvie Alix (2007), elle aurait pour premier rôle de « faire revivre l’esprit de la démarche de l’artiste au terme d’une période de production ». L’aboutissement de la recherche et la réalisation d'une oeuvre seraient, dans beaucoup de cas, les éléments déclencheurs des projets artistiques sous forme de livre. La publication étant rarement la pratique unique des artistes, elle serait habituellement abordée en complémentarité à une autre pratique notamment par des démarches littéraires, photographiques, vidéographiques, performatives et installatives. Bien que certains artistes utilisent le livre de manière plus soutenue, la publication apparait généralement dans le parcours artistique comme une manifestation ponctuelle.  Les publications d’artiste peuvent également être utilisées comme des outils privilégiés pour le développement de pratiques éphémères où la documentation de l’oeuvre devient essentielle à sa diffusion. L’oeuvre se situant parfois au-delà de « l’expérience perceptuelle directe » du récepteur (Dupeyrat, 2008, n.p), elle dépendrait d’un système de documentation pour parvenir à une actualisation. À travers ses deux fonctions principales, le livre serait « médium » plutôt que « forme » (Moeglin-Delcroix, 2010, p.31). Il devient ainsi le témoin d’un parcours temporel qui déborde du cadre de l’exposition et de l’évènement.

La publication numérique est, comme la publication imprimée, un véhicule de diffusion alternative permettant d’élaborer des projets artistiques intégrant des réseaux indépendants des institutions artistiques conventionnelles. Elle produit ses propres réseaux en disséminant l’œuvre sous la forme d’informations telles que pensées par les artistes conceptuels. Elle intègre les flux de productions éphémères présents sur Internet en suscitant « une nouvelle créativité de type technologique » (Robert, 2007, p.184). Au même titre que l’essor du livre d’artiste dans les années 60, la publication d’artiste numérique entraine une transformation de l’art en participant au « décloisonnement des réseaux informatifs traditionnels concernant les pratiques actuelles et contemporaines » (Robert, 2007, p.184).  Elle participe ainsi à brouiller les frontières entre les disciplines et leurs lieux de diffusion respectifs.

Malgré la très grande similarité des fonctions des publications imprimées et des publications numériques, ces dernières ne semblent plus conformes « à la nature du livre (sous forme de codex relié), à sa matérialité (par ses pages imprimés) ainsi que par la nature linéaire des informations » qu’elles dispensent (Moeglin-Delcroix, 2006, p.35). L’hypertexte présent dans les médias électroniques permet d’opérer une transformation du concept de page et de temporalité. Selon Suzanne Leblanc, ce que change l’hypertexte n’est pas tant la page mais le livre (2007). Le concept de page ne se réduirait plus aux propriétés attribuées au livre imprimé. 

« (…) la forme rectangulaire et verticale des blocs de texte qui apparaissent en séquence dans les rouleaux de papyrus et celle, rectangulaire mais horizontale, de nos « pages-écrans » informatiques et multimédias, appartiennent au continuum de la page. Un tel continuum implique que la page ne coïncide pas spécifiquement avec les caractères physiques des médias dans lesquels elle constitue une unité structurale fondamentale et entre lesquels il s’agirait alors de trouver des « super-traits » permettant de les regrouper. » (Leblanc, 2007, p.190)

Selon Stoicheff, la page est une manière particulière de voir le monde (2004, p.3). Elle est le lieu où l’information accède à l’ordre du visuel. Il est possible d’entrevoir la « page-écran » comme « un vestige de la culture de l’imprimé voué à une disparition certaine » mais nous pouvons également l’envisager comme la remédiation d’un dispositif de présentation de l’information (Leblanc, 2007, p.190). Pour Bénézet, « les médias numériques ne peuvent transcender ce qui les a précédés ». Ils se développent ainsi dans « un constant rapport dialectique avec les médias antérieurs » (sans date). Les modalités de présentations numériques sont « les héritiers de la page » et deviennent les « nouveaux sites d’inscription de l’information » (Leblanc, 2007, 1994). Ces nouveaux espaces de création et de diffusion que permet la « page-écran » offrent des possibilités de remédiation inédites aux artistes tel que les carnets, les ateliers, les galeries et les musées virtuels. 

« L’ordinateur définit ainsi un nouvel espace de création, lequel se situe entre le réel, l’imaginaire et le virtuel. Plus qu’un outil, il est devenu un atelier ; un atelier virtuel sans doute, qui, s’il apparait comme une abstraction de l’atelier traditionnel, n’en est pas une distorsion mais plutôt une possible mutation… » (Dallaire, p.176)

Cette remédiation repose sur la capacité de l’information à se transformer selon les contextes. Elle peut être modifiée, dupliquée (Robert, 2007, p.185). L’œuvre-information tel que conceptualisé dans les années soixante peut être présentée à l’intérieur de publication et permet ainsi d’envisager d’autres formes, temporalités et contextes pour l’œuvre d’art. Avant l’art conceptuel, l’art avait toujours établi un lien indivisible entre l’information et son support mais avec l’utilisation des médias électroniques on assiste à une accélération de ce phénomène de mutation.

« L’objet d’art dans le contexte de la métamorphose numérique se présente potentiellement sous diverses formes, en divers formats, sous différents débits, en mode direct ou différé. On peut aussi construire un « navire informationnel » concernant sa propre pratique, le « lancer sur internet » et récolter des contacts, des invitations, des échanges, des recommandations, des propositions, des collaborations et des amitiés. » (Robert, 2007, p.187)

Une publication d’artiste sous forme de site peut-être adapter en application pour appareils électroniques, en iBook ou se présenter sous forme de vidéo. L’exemple du blogue est également intéressant. La publication du contenu est dans ce cas en continu et peut être consultée dans divers contextes temporels ou interfaces : de manière chronologique (à rebours) ou par catégories de libellés sur le blogue, de manière fragmentée à travers des lecteurs ou les réseaux sociaux. La publication numérique peut également être modifiée ou effacée à tout moment. Elle permet ainsi une extraordinaire marge de manœuvre dans l’exploration de la temporalité et du lieu de l’œuvre.

La remédiation des modes de présentation de l’œuvre dans la publication imprimée à travers les médias électroniques souligne ce dialogue entre les médias. Cette logique formelle permet de définir les caractéristiques des interfaces électroniques en s’appuyant notamment sur la notion de page et de linéarité des informations. Que la représentation visuelle de la publication numérique rappelle la présence du médium livre en privilégiant l’hétérogénéité ou qu’elles visent plutôt à faire oublier sa présence, elle permet de repenser l’utilisation de l’imprimée. Les dispositifs du livre permettent à l’inverse de comprendre les interfaces des médias électroniques. Il est intéressant d’observer comment les nouveaux et anciens médias dialoguent à travers le processus de remédiation. Au lieu de rendre les anciens médias caducs, ils remodèlent et modifient les formes médiatiques antérieures. Ils les multiplient, les inspirent et les transforment.

Travail présenté dans le cadre du séminaire Fictions et documents avec Joanne Lalonde, mars 2012

Bibliographie sélective
- Alix, Sylvie. (2007). Graphzines et autres publications d’artiste. Montréal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
- Benjamin, Walter. (2008) L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Paris : Édition Gallimard.
- Bénézet, Delphine. (sans date). Remediation. Centre de recherche sur l’intermédialité. Consulté à l’adresse http://cri.histart.umontreal.ca/cri/fr/cdoc/
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- Bolter, Jay David. Grustin, Richard. (1999). Remediation, understanding new media. Cambridge, London : MIT Press.
- Bon, François. (2011). Avancer dans l’imprédictible. Dans F.Bon (dir.), Sites & écriture. Publie.net
- Brousseau, Simon. (2012, janvier). Textes superflus et talents gâchés : le blogue en tant que dépense improductive. Communication présentée à la journée d’étude « Le blogue littéraire : nouvel atelier de l’écrivain », Observatoire de l’imaginaire contemporain, Université du Québec à Montréal.
- Couchot, Edmond. Hilaire, Norbert. (2003). L’art numérique. Paris : Flammarion.
- De Boüard, Marie. (2008). Les espaces d’exposition imprimés. So Multiple, no. 01, consulté à l’adresse http://www.so-multiples.com/revue/numero01.php
- Dupeyrat, Jérôme. (2011). Exposer/Publier. Journal des arts, no. 340, consulter à l’adresse http://www.artclair.com/jda/archives/docs_article/80949/
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- Dupeyrat, Jérôme. (2008). Au-delà de l’oeuvre : les livres et les éditions d’artistes comme espaces de documentation artistique. So Multiple, no.01, consulté à l’adresse http://www.so-multiples.com/revue/numero01.php
- Gravel, Jean-Philippe. (2012, janvier). Le tour du propriétaire. Communication présentée à la journée d’étude « Le blogue littéraire : nouvel atelier de l’écrivain », Observatoire de l’imaginaire contemporain, Université du Québec à Montréal.
- Klucinskas, Jean. (2003). Compte rendu de la séance Remédiation / mise en abîme. Acte du colloque : La nouvelle sphere intermédiatique V, Centre de recherché sur l’intermédialité,  Université de Montréal, Consulté à l’adresse http://www.auradigital.net/web/Art-i-cultura-digital/Documents/compte-rendu-de-la-seance-qremediation-mise-en-abimeq.html
- Leblanc, Suzanne. (2007). Considérations sur la page dans la culture numérique. Dans N. Pitre (dir.), L’imprimé numérique en art contemporain (p.190-197). Trois-Rivières : Édition d’art le Sabord.
- Melançon, Benoit. (2012, janvier). La place du blogue dans la recherche académique [table ronde]. Communication présentée à la journée d’étude « Le blogue littéraire : nouvel atelier de l’écrivain », Observatoire de l’imaginaire contemporain, Université du Québec à Montréal.
- Moeglin-Delcroix, Anne. (2010). L’artiste en archiviste dans le livre d’artiste – Les termes d’un paradoxe. Dans A. Bénichou(ed.), Ouvrir le document, enjeux et pratiques de la documentation dans les arts visuels contemporains (p.25-46). Dijon : Les presses du réel.
- Moeglin-Delcroix, Anne. (2006). Sur le livre d’artiste, articles et écrits de circonstance (1981-2005). Marseille : Le mot et le reste.
- Moeglin-Delcroix, Anne. (1995). Esthétique du livre d’artiste 1960-1980. Paris : Bibliothèque Nationale de France. 
- Robert, Pierre. (2007). L’art numérique en surstock. Dans N. Pitre (dir.), L’imprimé numérique en art contemporain (p.184-189). Trois-Rivières : Édition d’art le Sabord.
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Les publications et éditions d'artistes comme récits d'oeuvres in situ et sculpturales : entre fonction documentaire et oeuvre/document

De la documentation au récit de l’oeuvre
L’analyse de l’art repose sur la différenciation entre l’oeuvre et son document. L’oeuvre d’art est habituellement « l’objet d’investigation » et le document un « instrument d’investigation » ou un « matériau secondaire » (Panofsky, 1969, p.37). Au cours des années soixante, l’émergence de pratiques in situ et processuelles ont provoqué un changement dans la manière d’envisager la documentation et la description des oeuvres d'art. Selon Moeglin-Delcroix (1), ce contexte a ébranlé « l’opposition traditionnelle entre l’oeuvre et le document » (2010, p.25). Pour Anne Bénichou (2), la nature éphémère des pratiques amène « les artistes et les institutions à documenter systématiquement les oeuvres » afin d’en assurer une transmission et une conservation (2010, p.11). Pour certains artistes l’accumulation de documents sous forme d’inventaire vient jouer un rôle significatif dans l’élaboration de leur travail. Pour d’autres, la documentation devient une stratégie de médiation, de diffusion, de création. Dans ce contexte, plusieurs documents tels que les enregistrements sonores, les vidéos, les photographies et les écrits d’artistes, rejettent cette distinction entre l’oeuvre et son document. Mais que se produit-il lorsque le mouvement documentatif et interprétatif est absorbé dans le processus même de l’oeuvre ? Comment ces documents, au statut souvent hybride, participent-ils au récit de l’oeuvre, à son actualisation, à sa recréation ? 

Consciente que plusieurs pratiques performatives et photographiques ont exploré la publication d'artiste comme véhicule artistique, j’orienterai plutôt ma recherche vers les éditions et publications d'artiste issues de pratiques in situ et sculpturales. Je m’intéresse à ces approches pour deux raisons distinctes. Tout d'abord, parce qu'elles me permettent d'entrevoir des liens avec ma propre pratique artistique. Ensuite, parce que ces approches proposent une vision particulière du livre qui permettent de l’entrevoir comme un espace de réflexion et de création in situ

Dans la première partie de ce texte, je définirai quelques terminologies et je contextualiserai certaines approches des publications et éditions d’artiste. Dans la deuxième partie, j’aborderai six démarches qui me permettront d’examiner divers statuts et fonctions des publications et éditions d’artiste dont les éditions de Marcel Duchamps, le livre Domaine d’un rouge-gorge/Sculpture 1969 de Jan Dibbet, les catalogues expositions de Seth Seiglelaub, les éditions documentatives de Richard Long, les publications de Daniel Buren ainsi que l’utilisation des livres d'artiste dans  la pratique sérielle de Sol Lewitt. Il est important de prendre note que je ne ferai pas une analyse exhaustive de chacun des livres et de chacune des démarches. Je tenterai plutôt de traverser ses pratiques afin d'en dégager différentes fonctionnalités et ainsi de les mettre en relation avec différents modes d’existance de l’oeuvre d’art.  Étant donné que plusieurs des livres qui seront abordés dans cette recherche sont difficilement accessibles aux publics, j’ai basé mon analyse sur les descriptions contenues dans différents ouvrages et articles ainsi qu'à partir de documents photographiques. 

Statuts et fonctions des publications et éditions d’artiste : Quelques définitions
Dans un premier temps, il est souhaitable de préciser l’utilisation des termes « publications d’artiste » et « éditions d’artiste » dans l’énoncé de cette recherche. La notion de « livres d’artistes » ne s’appliquant pas à l’ensemble des approches qui seront analysées en deuxième partie, l’emploi du terme « éditions d’artistes » permet d’y inclure un ensemble de documents reproductibles tels que les albums et les boîtes de Marcel Duchamp ainsi que les « éditions documentatives » de Richard Long. Les termes « éditions d’artiste » et « éditions documentatives » ont été développés dans les travaux de Jérôme Dupeyrat (3) (2008) abordant le livre en tant que pratique artistique et espace de documentation. Le terme « publications d’artistes » permet quand à lui d’intégrer différents types d'ouvrages n’ayant pas toujours le statut de livre d’artiste notamment en ce qui attrait aux publications de Daniel Buren.  Le genre « publications d’artistes » est défini par Sylvie Alix (4) dans le catalogue de l'exposition Graphzines et autres publications d'artiste pour décrire un certain type de livres d’artistes publiés de manière mécanique et à grand tirage. Selon Alix (2007), les termes « publication d’artiste », « document d’artiste », « monographie d’artiste » et « édition d’artiste » remplacent graduellement celui de livre d’artiste car ils permettent d’éviter la confusion entre les genres et les fonctions propres à chacune de ces approches. 

Avant de s'engager dans le trajet de cette recherche, il faut toutefois définir la notion de livre d’artiste en regard à son histoire, plus spécifiquement en liens aux années soixante à quatre-vingts. Selon Moeglin-Delcroix, la dénomination livre d’artiste est ambigüe parce qu’elle fait habituellement référence à trois pratiques bien distinctes : le livre illustré (5), le livre d’artiste (6) et le livre objet (7). En distinguant ses trois approches, elle définit le livre d’artiste comme une oeuvre qui se présente sous la forme du livre, une « oeuvre-livre » (2006, p.35). Le livre d’artiste est donc conforme à la nature du livre (sous la forme de codex relié), à sa matérialité (par ses pages imprimées) ainsi que par la structure linéaire des informations qu’il dispense. 

Bien qu’existant depuis le milieu des années trente, le livre d’artiste se développe surtout dans les années soixante et soixante-dix par des approches remettant en question les supports et les fonctions de l'oeuvre d’art. Il devient ainsi, pour les artistes minimalistes et conceptuels, un lieu privilégié de réflexion et de création. Selon Moeglin-Delcroix, le livre devient « un moyen de dématérialiser l’art tout en gardant un espace d’art » (1997, p.151). Il est également utilisé comme un véhicule de réflexion reproductible permettant une dissémination de l’oeuvre sous la forme d’informations. Le livre d'artiste concrétise ainsi cette volonté de démocratiser le système marchand de l'oeuvre d'art.

« Dans le prolongement du courant de dématérialisation de l’oeuvre d’art (...), qui est à l’origine d’un art basé sur l’idée plutôt que sur le faire, le livre devient l’ultime support. Comme lui, l’affiche, la carte postale, la photographie, le multiple, la vidéo et l’enregistrement sonore sont utilisés pour leur propriété d’objectivation qui fonde la nouvelle définition de l’oeuvre d’art. Elle devient document, livre et, dorénavant manufacturable (non fabriquée de la main de l’artiste) et éditée (reproduite) de manière illimitée, elle révolutionne de façon irréversible tout le domaine artistique. » (Alix, 2007, p.11)

Selon Alix (2007), les publications et éditions d’artiste auraient pour première fonction de « faire revivre l’esprit de la démarche de l’artiste au terme d’une période de production ». L’aboutissement de la recherche et la réalisation d'une oeuvre seraient, dans beaucoup de cas, les éléments déclencheurs des projets artistiques sous forme de livre. La publication sera rarement la pratique unique de l’artiste. Elle sera habituellement abordée en complémentarité à une autre pratique notamment par des démarches littéraires, photographiques, vidéographiques, performatives et installatives. Bien que certains artistes utilisent le livre de manière plus soutenue, la publication apparait généralement dans le parcours artictiques comme une matérialisation ponctuelle. 

Pour les artistes de la site specificity et du Land Art, le livre d’artiste aurait pour fonction de préserver les traces des projets et des interventions. L’oeuvre se situant au-delà de « l’expérience perceptuelle directe » du récepteur (Dupeyrat, 2008, n.p.), elle dépendrait d’un système de documentation pour parvenir à une actualisation et une médiation. Dupeyrat désigne sous le terme « éditions documentatives » ce type de publications. Ces éditions sont des outils privilégiés pour le développement de pratiques éphémères où la documentation de l’oeuvre devient essentielle à sa diffusion. Elles se présentent donc à la fois comme archive, documentation et art. Le livre est ici « médium » plutôt que « forme » (Moeglin-Delcroix, 2010, p.31), il est le témoin d’un parcours temporel qui déborde du cadre de l’exposition et de l’évènement.

« (...) le livre d’artiste va relayer dans la durée ce que certaines oeuvres ont d’intrinsèquement éphémère, notamment quand il s’agit de travaux in situ, d’environnements ou d’installations, toujours ponctuelles et provisoires, parfois irrémédiablement uniques. » (Moeglin-Delcroix, 2006, p.203)

Dans ce cycle de décloisonnement des pratiques, les publications et éditions d’artiste seront au centre d'une transformation. L’oeuvre ne sera plus rattachée à « sa réalité d’objet unique » (Moeglin-Delcroix, 2006), elle pourra être reproduite par le livre sans perdre son authenticité, son originalité. Le livre sera ainsi utilisé comme un espace conceptuel et contextuel. La circulation des publications et des éditions remplacera celles des oeuvres, le marchand d’art se transformera en diffuseur d’informations, le livre pourra devenir exposition, oeuvre. Les publications et éditions d’artistes soulèvent ainsi de nombreuses questions quant à leur statut hybride au seuil entre l’oeuvre et le document. Mais n’est-ce pas là leur fonction principale, celle de résister au cloisonnement des disciplines et des formes d’expression pour permettre à l’artiste de prendre en charge l’ensemble du processus de réalisation et de médiation des oeuvres? 

« la publication d’artiste refuse de facto la distinction entre ceux qui font et ceux qui savent, entre la production de l’oeuvre et son commentaire. Elle traduit ainsi la responsabilité revendiquée par l’artiste sur sa création, de sa conception à sa réception. » Moeglin-Delcroix, 2006, p.193

Duchamps : la reproductibilité de l’expérience et la mise en espace de l’oeuvre
En premier lieu, je considère essentiel d’examiner l’utilisation de l’édition d’artiste chez Marcel Duchamp. Bien avant Edward Ruscha, considéré comme le  précurseur du livre d’artiste dans les années soixante, Duchamp réalisa des boîtes et albums tout au long de son parcours artistique. Souvent issues de projets sculpturaux, ces éditions occupent des fonctions diverses. Il est également intéressant de noter que Duchamp fut l’un des premiers artistes à donner le statut d’oeuvre à ses Notes en les publiant sous la forme de boîtes : La Boîte de 1914, La Boîte Verte (1934) et La Boîte Blanche (1966). Dans ce texte, je m’intéresserai plus particulièrement à la La Boîte Verte issue de la fabrication du Grand Verre (figure 1). 

Figure 1. Marcel Duchamp, La mariée mise à nu par ses célibataires même (Boîte verte), 1934

Cette édition, publiée à 300 exemplaires, contient quatre-vingt-quatorze documents; photographies, dessins, notes manuscrites qui ont été consignées entre 1915 et 1923. Pour que les Notes préservent leur caractère « authentique », Duchamp les a minutieusement reproduites en lithographie en utilisant les mêmes encres et les mêmes papiers que les originaux. Les reproductions se présentent dans une boîte sans ordonnancement : notes déchirées et tâchées, griffonnages sur toutes sortes de papier, notations inachevées, plans esquissés. Selon Didi-Huberman (2008), avec cette édition, Duchamp s’intéresse davantage à la reproduction d’une « idée de fabrication » plutôt qu’une documentation de l’oeuvre proprement dite. Il explore  l’empreinte de l’expérience.  Selon une déclaration de Duchamp, les Notes publiées dans La Boîte Verte seraient également « destinées à compléter l’expérience visuelle comme au moyen d’un guide » (1994, p.228).  Mais de quel type de guide il s’agit? Permet-il un dévoilement des modalités techniques, symboliques ou conceptuelles? Malgré cette volonté d’accompagnement, il semble que le mystère du Grand Verre est sauvegardé car, pour accéder au récit de l’oeuvre, le « lecteur-spectateur » doit se transformer en enquêteur. La compréhension tient ici du jeu d’association et de la découverte.

 « Mais il ne faut pas s’y tromper, la part de mystère contenue dans l’œuvre est maintenue dans les Notes. Ces dernières ont toutefois le mérite de pratiquer des ouvertures dans l’esprit du lecteur-spectateur sans jamais en épuiser les secrets. Car la découverte des secrets de La Mariée dépend de la capacité de celui qui cherche à poser les énigmes dans une logique comparable à celle de son concepteur. » (Jean, 2008, n.p.)

Il est également intéressant d’aborder La Boîte en Valise (figure 2) réalisée entre 1936 et 1941. Pour ce projet, Duchamp a créé un album présentant un ensemble d’oeuvres qu’il avait produites antérieurement. L’album se présente sous la forme d’une boîte contenant soixante-cinq reproductions de peinture, de pièces sur verre, d’objets de readymades minaturalisés et d’autres objets inclassables. L’album est conçu comme un espace tridimensionnel qui se présente à la manière d’un musée miniature. Par ce travail, Duchamp poursuit sa réflexion sur les potentialités de reproductibilité de l’oeuvre d’art. Il accorda d’ailleurs une attention très particulière aux détails des oeuvres reproduites. Il réalisa plusieurs voyages pour constater la couleur exacte de certaines oeuvres intégrées à des collections privées et publiques. Les méthodes de reproduction étaient laborieuses et réalisées manuellement. Par exemple, les peintures ont été reproduites par un ancien procédé photographique (collotype) et de retouche au pochoir. Il réalisant ainsi plus de 300 copies de son petit « musée portable » (Filipovic, 2009, p.4). Avec La Boîte en Valise, Duchamp prend le rôle d'un artiste-conservateur qui propose une réinterprétation de sa propre oeuvre par une nouvelle contextualisation spatiale sous la forme de l'objet-livre.

Figure 2. Marcel Duchamp, La boîte en valise, 1936-1941

Ces questionnements sur la mise en espace du regard se sont prolongés par la réalisation de Étant Donnés. Cette oeuvre effectuée dans le plus grand secret, vient également accompagner d’un document aux fonctions en apparence très distinctes des éditions mentionnées précédemment. Le Manuel d’instruction pour Étant Donnés (figure 3) s’est élaboré à partir de notes et de photographies recueillies dans un classeur noir. Ce document (8) se présente comme un véritable manuel d’installation. Il décrit les quinze étapes nécessaires au montage de l’oeuvre qui, selon le texte préliminaire du manuel, est « une approximation démontable ». Ici, pas trop de doute sur la fonction du document qui propose une marche à suivre très détaillée malgré certaines imprécisions sur les manipulations à effectuer. Duchamp y présente également une série de photographies montrant de quelle manière il assemble les divers éléments et matériaux pour créer la structure précaire de Étant Donnés. Une partie de l’oeuvre est, entre autres, composée de scotch tape, de boules de coton, d’attaches à fils électriques ainsi que d’une machine lumineuse faite à la main encastrée dans une boîte à biscuit qui reproduit le mouvement d'une chute d’eau. Certaines photographies présentent très précisément l'unique point de vue que doit avoir le spectateur situé dans une ouverture de la porte. 

Figure 3. Marcel Duchamp, Manuel d’instruction pour Étant Donnés, 1946-1966

Suite au don de l’oeuvre et de son manuel, Duchamp laissa le soin au musée de Philadelphie de reproduire l’oeuvre à partir de ses « instructions approximatives » (Filipovic, 2009, n.p.). Ce manuel pose ainsi une double réflexion. Dans un premier temps, il documente et préserve la marche à suivre permettant de recréer l’oeuvre. Dans un deuxième temps, il interroge la potentialité de reproductibilité de cette oeuvre d'art en y introduisant l’idée d’une approximation causée par le « fait main ». Le manuel de Étant Donnés se présente à la fois comme un récit autorisé de la mémoire processuelle et technique de l’oeuvre (Poinsot, 1999, p.303) et comme une réflexion sur la problématique de reconstitution d’une oeuvre installative.

Jan Dibbets : le livre comme reconstitution d’une sculpture
Le livre Domaine d’un rouge-gorge/Sculpture 1969 (figure 4) de Jan Dibbets publié en 1970 pose également la question de la reconstitution d’un processus. Selon la description de Dupeyrat (2008), ce petit livre au statut indéfini est constitué d’une quinzaine de feuillets et présente la documentation d’une intervention réalisée dans un parc. Le livre débute par une présentation du projet écrite en quatre langues où Dibbets explique la nature de son dessin/sculpture. 

« Début mars 1969, je me décidais à faire une intervention dans le domaine d’un rouge-george, de la sorte que l’oiseau volât et contrôlât à la fois mon dessin/sculpture. Celle-ci ne peut jamais être vue dans sa totalité; c’est grâce à la documentation que l’on peut en reconstituer la forme en pensée (...) Une fois le travail achevé, je me proposais de tracer la forme du nouveau domaine sur le sol, comme un dessin, au moyen de bâtonnets. Le mouvement de l’oiseau entre les points que j’avais déterminés constituait la sculpture. » (Dibbets, 1969, n.p.)

Figure 4. Jan Dibbets, Roodborst Territorium/Sculptuur 1969

Dans les pages suivantes sont consignées une carte de la ville d’Amsterdam et du parc où a travaillé l’artiste, une suite de photographies accompagnées de notes, de schémas et de dessins ainsi qu’un récit de l’évènement. La publication prend l’aspect d’un cahier de travail qui « accompagne l’histoire de la réalisation de l’oeuvre » (Moeglin-Delcroix, 1995, p.144). Les documents présentés témoignent ainsi de l’expansion du territoire de l'oiseau par l’intervention de l’artiste. Selon Moeglin-Delcroix, « l’action n’est pas une fin en soi pour l’artiste » (Moeglin-Delcroix, 1995, p.144). Il ne l’effectuerait que pour en présenter les traces sous la forme du livre.  Domaine d’un rouge-gorge/Sculpture 1969 est en quelque sorte la genèse de cette intervention. Selon Dupeyrat, Dibbets n’utilise pas le livre pour son genre ou sa forme mais plutôt comme un médias lui permettant de « rendre visible » des informations relative à son action in situ (2008, n.p.). 

« « Sculpture » ne décrit pas en effet la forme du livre, d’une grande banalité; « sculpture » ne désigne même pas la forme effectivement dessinée par l’artiste avec le concours de l’oiseau, laquelle ne fut jamais visible en tant que telle, pas même à l’artiste; « sculpture »  désigne l’idée de forme dont le livre est porteur, laquelle consiste à utiliser les trajets d’un oiseau pour inscrire, à l’aide de la nature mais contre elle, un espace mentalement artistique dans l’espace naturel. Il ne s’agit pas tant de « reconstituer la forme en pensée » comme l’écrit Dibbets, que de reconstituer la pensée d’une forme. » (Moeglin-Delcroix, 1995, p.145)

La publication de Dibbet devient, dans ce cas précis, un outil essentiel puisque l’oeuvre n’est pas faite pour être vue. Elle se présente sous la forme d'une réflexion à propos du tracé d’un phénomène naturel où intervient l'artiste. Domaine d’un rouge-gorge/Sculpture 1969 permet ainsi de reconstituer les détails de l’élaboration et de réalisation de l’intervention. Pour Dibbet, la pensée est une action, l’action est une oeuvre. Il importe donc peu que les signes de cette action soient matériels ou non, c'est pourquoi le livre est ici la seule trace du projet.

Seth Siegelaub : le catalogue comme exposition
Dans cet ordre d’idée, il est intéressant de poser un parallèle entre ce livre de Jan Dibbet et le travail d’édition de Seth Siegelaub qui questionne également « la mise en vue » (Poinsot, 1999) de certaines oeuvres conceptuelles et in situ. Les spécificités de ces pratiques le mènent à concevoir des expositions sous la forme du catalogue. L’utilisation de stratégies propre aux communications permet de supprimer les intermédiaires entre le public et l’artiste. Le lecteur-spectateur a ainsi accès de manière plus directe à l’idée de l’oeuvre, à son processus. 

Mais n’est-ce pas plus fondamentalement, la fonction documentaire du catalogue qui a changé de sens, s’adapter à cette nouvelle catégorie d’oeuvres en passant du rassemblement de connaissances objectives autour d’un objet donné (« documentation sur ») à l’usage transitif du verbe « documenter », (...) Dès lors, peuvent se trouver réconciliées les fonctions de documentation et de création puisque l’oeuvre n’a de réalité communicable que par la publication qui lui assure bien plus qu’une mémoire : une autre forme d’existence. » (MD, 2006, p.203)

Figure 5. Seth Siegelaub (ed.), July, August, September 1969

Plusieurs livres publiés par Seth Siegelaub pourraient être abordés dans ce texte mais je m’en tiendrai au catalogue-exposition July, August, September 1969 (figure 5) qui réunit les oeuvres de onze artistes : Carl Andre, Robert Barry, Daniel Buren, Jean Dibbets, Douglas Huebler, Joseph Kosuth, Sol Lewitt, Richard Long, N.E. Thing Co. Ltd, Robert Smithson et Laurence Weiner. Comme le suggère la carte illustrant la couverture, le catalogue présente une exposition planétaire en divers lieu. Chaque artiste fut invité à décrire, dater et localiser une oeuvre réalisée ou en voix de réalisation et d’en fournir des documents. Les artistes ont été conviés à investir le dispositif du catalogue préétabli par Sieglelaub composé d'une page (recto verso) qui servira à présenter les textes et d'une autre page (recto verso) pour présenter les documents visuels. À titre d’exemple, Daniel Buren a envoyé son intention de réaliser un projet d’affichage dans les rues parisiennes en couvrant des panneaux publicitaires de ses outils visuels habituels (bandes verticales de 8,7 cm). Il accompagnera son intention de deux photos-souvenirs d’une intervention antérieure sous la forme d’un avant/après. La lettre ainsi que les autres documents furent publiés tel quel dans le catalogue.

Les publications de Sieglelaub ne sont pas seulement la trace ou l’accompagnement d’une exposition, ils sont le lieu où les oeuvres s’exposent, se donne à voir. Selon Dupeyrat, le livre devient « l’espace de monstration d’une proposition artistique imprimée, faisant corps avec les pages » de la même manière qu'une oeuvre d’art produite in situ (2010a, n.p.). Les propositions des artistes développeraient donc un lien organique avec le support qu'est le livre.

Elles sont véritablement oeuvre sous la forme du livre (artwork in bookform), et considérer l’imprimé comme mode d’exposition (et encore plus comme espace d’exposition) reviendrait alors à conférer à l’oeuvre une existence idéelle et indépendante de son inscription à travers les pages, qu’elle n’a pas. De ce point de vue, la relation de l’oeuvre éditée à son support d’impression n’est pas très différentes de celle qu’entretiennent les oeuvres in situ avec leurs lieux de visibilité, et dans cette logique de production où l’oeuvre et l’espace où elle se donne à voir se construisent mutuellement, le terme « exposer » ne peut plus exactement avoir sa signification étymologique de « montrer hors de ». (Dupeyrat, 2010b, p.9)

Cette situation pose ainsi des similitudes avec la vision de Jan Dibbet. Par cette réflexion, l’oeuvre devient une information qui sort du cadre traditionnel de diffusion. Même si le livre n’endosse pas tout à fait la même fonction que l’exposition, il permet cette visibilité ou cette « mise en vue » dans un système élargi de diffusion. On assiste à un déplacement du rôle du récepteur, des modalités de diffusion et de création de l’oeuvre. La réception se vit alors de manière in situ dans le codex. Selon Dupeyrat, les publications de Seiglelaub s’affirment donc entre « pratiques d’exposition alternatives » et « pratiques alternatives à l’exposition ». (2010b, p.10).

Richard Long : le document comme oeuvre
Pour Richard Long, la pratique du livre et de la documentation est, pour reprendre les mots de Duperat, « une pratique alternative à l’exposition ». Long a réalisé plusieurs livres qui rassemblent divers documents issus de marches et de déplacements d’éléments naturels tels que les textworks, bookworks, photowalkworks, wordwalkworks (Phillpot, 1987, p.125). L’artiste entretient d'ailleurs une confusion quant aux statuts de ses divers documents. Certaines publications sont plus proches d’une tradition du livre d’artiste tandis que d’autres sont éditées chez de grands éditeurs et prennent l’apparence de monographie d’artiste. La plupart de ces publications se présentent cependant sous la forme de petits livres présentant de la documentation de projets réalisés sur des sites extérieurs ou parfois dans des lieux intérieurs de diffusion. Les livres et documents de Richard Long ont ainsi une double fonction. Ils sont à la fois souvenirs des territoires parcourus et mémoire du processus et du trajet des pas de l'artiste (Moeglin-Delcroix, 2006, p.487). 

Les premiers livres et documents réalisés par Richard Long avaient une approche très descriptive. Ils s’attardent davantage au processus de la collecte de documents qu’à l’exposition de cette collecte. Évoquons l'exemple de la carte Wiltshire 12-15 octobre 1969 qui présente quatre marches différentes ayant eu lieu sur le même territoire. Par le tracé de quatre carrés concentriques indépendants et les inscriptions de durée de la marche, Long utilise la carte comme la description de l'intervention. Il y inscrit également : « Each square drawn on the map was walked seperately and accurately as possible, without rehearsal. The total walkind time for each square is given. ». Le texte, les tracés, les durées et la carte fonctionnent ensemble pour créer le récit du processus de la marche. La carte peut, par la suite, être présentée dans différents contextes : au mur d’une galerie ou sur une page imprimée dans une publication.

Dans la poursuivre cette réflexion, il est intéressant d’aborder le livre South America (figure 6) publier en 1973. Ce petit livre d’artiste de format carré est le seul réalisé par Long qui ne comporte que des dessins. Les motifs dessinés se présentent comme les traces inspirées de formes rencontrées pendant son voyage en Amérique du Sud. Les dessins sont imprimés à deux reprises, au recto et au verso d’une même page; un côté imprimé en positif (noir sur blanc) et l’autre en négatif (blanc sur noir). Les dessins se présentent dans ce livre comme des repères visuels et temporels d'un voyage. Ils remplissent une fonction similaire aux photographies publiées dans ces autres livres. 

Figure 6. Richard Long, South America, 1973

À ce propos, il est intéressant d’examiner le livre A walk past standing stones (figure 7) de 1978. Il présente des photographies de plusieurs objets naturels rencontrés lors d’une marche. Les formes entrent en relation entre elles par leur rapport formel de similarité. Elles symbolisent des marqueurs temporels choisis lors de la marche. À la manière de pictogrammes, Long explore la relation entre la répétition des éléments formels et la narrativité temporelle qu’ils supposent. Dans ce livre, la photographie n’a pas seulement le rôle de l’archive. Elle est, selon Dupeyrat, « un mode d’investigation du réel et des conventions au moyen desquelles il est représenté » (2008, p.5). En plus de permettre d'archiver des moments de l'intervention, elle sert également de guide dans le travail in situ surtout lorsque l’on pense à l’importance du point de vue et du cadrage dans l’emplacement des oeuvres de l'artiste. La sculpture se matérialise d’une manière particulière dans l’image photographique. La publication devient ainsi l’un des médias le plus appropriés pour la transmission des marches et des sculptures. Selon Clives Phillpot (9), les photographies publiées dans les livres opèrent davantage que les dispositifs photographiques accrochés au mur (1987, p.125) car elles permettent d’inclure la nature processuelle et temporelle des projets. 

Figure 7. Richard Long, A walk past standing stones, 1978

Le livre Planes of Vision publié en 1983, fut également réalisé à partir de la marche, ou comme le propose Moeglin Delcroix « fait en marchant ». Le livre débute à partir de l’énoncé suivant : « nommer tout ce qui est vu, sur trois-cent-soixante degrés, à chaque mile d’une marche en ligne droite qui mène le randonneur de la côte atlantique de l’Angleterre à la côte de la Manche » (cité par Moeglin-Delcroix, 2006, p.90). Selon la description de Moeglin Delcroix, chaque station correspond à une page sur laquelle est imprimée en lettre majuscule la liste de ce qui est vu. Les énoncés forment ainsi une colonne plus ou moins longue selon le nombre et les types d’éléments perçus dans le paysage. Ainsi, en fonction des conditions météorologiques telle que la brume, certaines colonnes peuvent être très courtes : « brume / herbe / chaussures / herbes / haie » (Moeglin-Delcroix, 2006, p.90). La largeur des colonnes est également variable selon la longueur des mots énoncés.  La succession des mots fait ainsi apparaitre une forme se présentant comme la métaphore visuelle du trajet. Par la suite, l’ordre des pages réunit visuellement la collecte et l’inscrit dans l’histoire de l’expérience de l’oeuvre.

Les opinions divergent sur le statut des publications de Richard Long. Selon Phillpot, les livres de Richard Long ne sont pas des oeuvres d’art ni des livres d’artiste. Ils sont, tout au plus, des albums de photographies et de documentation. Pour Dupeyrat, ces « éditions documentatives » sont plutôt « des manifestations d’oeuvres plurielles » au sens évoqué par Gérard Genette. Les livres procèderaient d’une « intention auctorial » (2008, p.5), de la même manière qu’un artiste qui produit un tableau ou une composition musicale. 

« Les éditions documentatives relèvent précisément de ce régime, car elles prolongent ou reformulent l’existence des oeuvres qu’elles documentent au-delà de leur matérialité ou du moment de leur réalisation éphémère. » (Depeyrat, 2008, p.5)

L’artiste réaliserait ainsi une interprétation dérivée qui sera considérée plutôt « comme une autre version de la même oeuvre ». (Genette, 2010, p.188). Cette vision de l'immanence plurielle de l'oeuvre coïncide avec cette déclaration de Richard Long : « l’art peut-être un pas ou une pierre. Une sculpture, une carte, un texte, une photographie : toutes les formes de mon travail sont égales et complémentaires » (cité par Moeglin Delcroix, 2010, p.39). Selon Genette (2010), une même oeuvre peut ainsi avoir plusieurs états qui s’incarnent dans divers contextes spatiaux et temporels ainsi qu’en divers objets matériels. 

Daniel Buren : souvenirs de travaux in situ
Étant donné le caractère éphémère des travaux de Daniel Buren, il a lui aussi eu recours à la publication d’artiste pour faire la médiation de ses travaux. La plupart des livres réalisés par l’artiste présentent des écrits et/ou de la documentation d’oeuvres existantes. Ces écrits et documents sont en quelque sorte « des comptes rendus d’interventions éphémères in situ » (Moeglin-Delcroix, 2010, p.34). Buren contribue également, de manière ponctuelle, à des publications collectives et des revues en publiant des écrits d’intention accompagnés de documents photographiques. Très prolifique, il réalisa plusieurs publications d’artiste.

À titre d’exemple, il est intéressant d’examiner la publication Voile/Toile, Toile/Voile  réalisée par l’artiste. Le livre présente un projet effectué de 1975 à 1976 où l’artiste réalisa des toiles rayées sous la forme de voiles de bateaux. Les toiles furent installées sur de petites embarcations lors d’un évènement nautique sur un lac berlinois. Par la suite, elles furent exposées à l’académie des arts de Berlin. Dans les deux contextes de réception, les voiles étaient identifiées comme des oeuvres d’art ce qui n'était pourtant pas le cas du livre découlant du projet. Dans cette publication, Buren présente deux textes écrits par des témoins non initiés au milieu de l’art et les accompagne de photographies. Pour introduire le livre, Buren met en garde le lecteur quant aux statuts des photographies. Elles doivent être considérées comme des souvenirs et elles ne remplacent en rien l’expérimentation de l’oeuvre. À la manière d’un rituel, Buren émettra des avertissements similaires à l'intérieur de plusieurs de ses publications. 

Selon Moeglin-Delcroix, le cas de Buren est une exception. Il serait l’un des rares artistes à soutenir que « le propre de l’art est que l’idée ne peut avoir d’existence séparable de sa forme visible singulière » (2010, p.180). À l’inverse de Long, les reproductions photographiques des oeuvres in situ ne peuvent avoir la même valeur que l’oeuvre. Les photographies ont ainsi une fonction purement archivistique et c’est pourquoi Buren les désigne comme « photos-souvenirs ». Malgré l’attention portée à l’esthétique de ces photographies, elles n’ont pas plus de valeur pour l’artiste que des souvenirs de voyage.

« La photo alors, par rapport à ceux et celles qui ont vu et expérimenté le travail-évènement qu’elle illustre, sert d’aide mémoire, donne la preuve de l’existence formelle passée - ou présente d’ailleurs – de la chose photographiée. (...) Surtout, ne l’oublions pas, que le sujet auquel toutes ces photos se réfèrent est un travail-évènement dont certains des principes, parmi les plus significatifs, incluent la multiplication des points de vue, la mobilité des spectateurs et l’élargissement de la vision au sens propre. (...) En ce sens, la photo-souvenir sert, comme le Musée à conserver. » (Buren, 1988, p.3-7)

Les écrits produits par l'artiste ont également une fonction particulière; celle de tenir un discours sur l’oeuvre car, selon Buren, l’oeuvre est incapable de tenir un discours sur elle-même. Ces écrits prennent souvent une forme critique ou explicative. Plusieurs textes ont également une fonction descriptive et servent à accompagner les photographies des interventions dans les catalogues d’exposition et dans ses publications. Les textes rendent ainsi compte des discours des travaux in situ au même titre que les photographies.

« L’illusion, deuxième danger, est d’autant plus sournoise qu’elle serait le résultat d’une confusion faite entre les écrits et les travaux alors que leur distinction même en fait leur existence. Qu’il y ait interaction du texte à l’oeuvre c’est indéniable mais ce serait commettre un contresens absolu que d’oublier celui qui engendre l’autre à savoir ici l’oeuvre le texte, et non l’un et l’autre se reflétant indéfiniment. (...) Ici, il est important de bien comprendre que l’impulsion vient de l’oeuvre. » (Buren, 1991, p.324)

Malgré sa vision non artistique de la publication, Buren réalisa en 1983 le livre intitulé D’une impression à l’autre (figure 8). Selon Moeglin-Delcroix, le sujet de cette publication semble dépasser « la fonction documentaire du livre de photographies » (2006, p.181). Elle se présente à la manière d'un essai ayant pour objectif de recréer la couleur des bandes utilisées dans ses travaux in situ à partir de photographies d’interventions antérieures. Étant donné qu’à l’époque les outils visuels étaient réalisés en sérigraphie, il les reconstitua sur de grandes pages à partir du même procédé. Il respecta la largeur habituelle des bandes en tentant de recréer la même couleur que celle des reproductions. À l'intérieur des pages, les outils visuels reproduits et les photographies se font face. Le titre D’une impression à l’autre souligne ainsi ce glissement d’un type de reproduction à un autre. Selon Moeglin-Delcroix, ce livre s’éloigne de l’oeuvre première pour s’interroger sur le vieillissement d’une reproduction et se son effacement en réintroduisant de l’art là où « la photographie échoue à se souvenir ». Par cette intention, Buren abolirait donc la fonction purement documentaire de cette publication (Moeglin-Delcroix, 2006, p.181).

Figure 8. Daniel Buren, une photographie du livre D’une impression à l’autre, 1983

Il est intéressant de souligner que lors d’un numéro spécial sur le livre d'artiste de la revue Art-Rite à l’hiver 1976-1977, Buren prit position sur cette pratique en déclarant :

« Les livres ne m’intéressent que lorsque leur sujet ou leur sens concorde avec mes intérêts ou lorsqu’ils m’enseignent quelque chose, ou corrigent un concept erroné que j’avais, ou lorsqu’ils sont extrêmement bien faits. Peu importe la classification ou profession de l’auteur. Par rapport à cela, la majorité des livres d’artistes sont dénués de sens. » (Buren, 1991, p.513) 

Paradoxalement à cet énoncé, il est étonnant de constater que Buren fut l’un des rares artistes de sa génération à signer la plupart de ses publications.

Sol Lewitt : le livre comme processus sériel de création
Sol Lewitt est probablement l’un des artistes de sa génération ayant réalisé le plus de livres d’artiste. Contrairement à Buren, Lewitt utilise le livre comme un espace conceptuel lui permettant de répertorier des idées de manière visuelle. Un peu à la même manière de Dibbet ou Long, la publication se présente comme la trace d’un processus de création « garante de la mémoire d’une réalité éphémère » (Moeglin-Delcroix, 2010, p..27). Son premier livre, Serial Project #1 (figure 9) publié avec d’autres documents dans une édition collection de Aspen « the magazine in a box » en 1966, retrace l’histoire d’une oeuvre sculpturale dans lequel il énonce son statement fondateur : « The serial artist [...] functions merely as a clerk cataloging the results of a premise » (cité par Moeglin-Delcroix, 2006, p.307). Lewit se présente donc comme un archiviste du développement de sa propre pratique.

Figure 9. Sol Lewitt, Incomplete Open Cube, 1974

En regard à cette déclaration, il est intéressant d’examiner sa première publication autonome Four Basic Kinds of Straight Lines publié en 1969. Ce livre présente une suite de dessins abstraits obtenus par le développement en série de combinaisons de quatre types de lignes : verticale, horizontale ainsi que deux types de diagonales. Ce livre annonce plusieurs des livres qui suivront, dont ceux construits sous forme d’inventaire et ceux ayant pour fonction de conserver les traces de ses dessins muraux (Wall Drawings). À mis chemin entre les deux fonctions, ce livre préserve la trace d’un processus de systématisation du dessin à la manière d'un registre de possibilités. 

Dans son parcours, Lewitt utilisa également le livre pour documenter certaines de ses sculptures notamment l’oeuvre Incomplete Open Cube (figure 9) de 1974. L’oeuvre est composée de deux éléments qui ont le cube comme élément de base. La forme incomplète des deux objets permet diverses permutations et inversions. Lewitt réalisa un livre ayant le même titre que l'oeuvre et qui sera publié la même année. Il présente des photographies noir et blanc des structures placées en diverses positions. À l'intérieur du livre, les photographies sont confrontées à leurs dessins techniques imprimés sur la page suivante. La fonction de ce livre semble être une métaphore de l'exploration mentale que propose l'oeuvre. La publication permet ainsi de présenter de possibles variations et objets sculpturaux.

Figure 10. Sol Lewitt, Photogrids, 1977

À partir du milieu des années soixante-dix, l’utilisation plus systématique de la photographie participe à une transformation des publications de Sol Lewitt. La photographie introduit ainsi dans son art minimal et formel certains éléments du réel. Plusieurs de ses livres prendront ainsi la forme d’inventaire. À titre d’exemple PhotoGrids (figure 10) publié en 1977 présente, tout comme ColorGrids publié la même année, une suite de quadrillages prélevés dans la réalité : carreaux de fenêtre, portes, grillages, planchers, etc. Selon Moeglin-Delcroix, les séries et les systèmes ne viennent pas de décisions conscientes de l'artiste mais proviennent plutôt « de l’exploration de la géométrie inhérente au paysage urbain » (2006, p.186). Le livre se présenterait donc comme l'enregistrement d'un processus de création sériel.

« Sol Lewitt a déclaré plus d’une fois que l’artiste systématique et sériel était un archiviste : non pas l’archiviste d’une histoire ou d’une mémoire, mais l’archiviste des effets du système qu’il met lui même en place (...) l’artiste détermine pour chaque livre la loi de son développement et le livre en développe et en enregistre les résultats. » (Moeglin-Delcroix, 2006, p.60)

Dans le même ordre d’idée, Sol Lewitt publia également Brick Wall en 1977. Ce livre présente trente photographies en noir et blanc du mur de briques situé devant l’atelier de l’artiste. Cette publication démontre l’aptitude de la composition à relever la géométrie présente dans la réalité urbaine. Les pages présentent ainsi différents états de la structure du mur de brique faisant face à l'atelier de l'artiste selon les changements de lumière et de point de vue.  Selon Moeglin Delcroix, ce livre de Lewitt renoue avec la narration par le « développement d’un système interne au livre »  qui présente un temps narratif découlant de la description d’un lieu (2006, p.186). 

Figure 11. Sol Lewitt, Autobiography, 1977

Cette narrativité se développe encore davantage dans Autobiography (figure 11) publié en 1980. Cette publication, l'une des plus connues de Lewitt, présente des photographies noir et blanc d’objets du quotidien de l'artiste. Le livre est conçu sous la forme d’un inventaire qui trace un portrait des références visuelles de l’artiste. Pour Lewitt, le livre revêt ainsi deux fonctions principales. Dans certains cas, il permet d’enregistrer l’histoire de l’oeuvre sculpturale ou installative et, dans d’autres, il permet d’établir une collection de potentialités géométriques issues d’une contrainte formelle et sérielle. Malgré l'apparence rigidité de la deuxième fonction, il semble, qu’avec le temps, Lewitt semble y introduire une volonté narrative. 

Ces exemples ont permis d’aborder différentes approches des publications et éditions d’artiste en relation aux pratiques in situ et sculpturales. Cette analyse a permis d’articuler des visions différentes de l’oeuvre d’art qui partagent le même véhicule qu’est le livre. Chez Marcel Duchamp, les boîtes et albums permettent d’explorer la reproductibilité de l’expérience et la mise en espace de l’oeuvre. Jan Dibbet envisage quant à lui le livre comme la reconstitution d’un dessin/sculpture. Les catalogues-expositions de Seth Seiglelaub explorent le livre comme espace d’exposition d’oeuvres in situ. Dans le cas de Richard Long, il est possible d’envisager l’ensemble de ses documents comme des incarnations d’oeuvres en opposition aux publications de Daniel Buren qui sont plutôt des souvenirs de travaux in situ. Chez Sol Lewitt, la publication se présente telle une oeuvre processuelle et sérielle. Ces approches suggèrent ainsi la possibilité d’utiliser les idées et les images comme une information qui peut être transmise. Dans l’ensemble de ces cas, le livre n’est pas une fin en soi, il est plutôt un moyen (Moeglin-Delcroix, 2006, p.359). Malgré les divergences d’opinions sur le statut de ses documents, il en ressort une fonction commune; celle de transmettre le processus ou l’idée de l’oeuvre in situ. Que les éditions et publications d’artiste prennent la forme de documentation, d’une version différente d’une même oeuvre ou d’une oeuvre autonome, elles se présentent comme le récit d’un processus à l’oeuvre.

Travail présenté dans le cadre du séminaire Ekphrasis et fictions d'oeuvres : dire l'oeuvre d'art avec Patrice Loubier, décembre 2011

Notes
1) Anne Moeglin-Delcroix est professeur de philosophie de l'art et elle fut directrice pendant quinze ans de la collection de livres d'artistes à la Bibliothèque nationale de France.
2) Anne Bénichou est historienne et théoricienne de l’art contemporain et ses travaux de recherche portent sur les formes mémorielles des archives et les récits historiques.
3) Jérôme Duperat achève actuellement une thèse en esthétique sur le livre d’artiste à l’Université de Rennes 2. Ses travaux abordent les éditions d'artistes en tant que pratique artistique et pratique d’exposition.
4) Sylvie Alix a dirigé la collection de livre d’artiste à la Bibliothèque nationale du Québec et elle est actuellement responsable de la médiathèque au Musée d'art contemporain de Montréal.
5) Aussi appelé « livre de peintre » ou « livre français », il est souvent le lieu d’une collaboration entre un écrivain et un artiste peintre ou graveur.
6) De tradition anglo-saxonne (bookwork), il est souvent réalisé en totalité par un artiste.
7) Le livre se subordonne à l’objet ou l’objet prend la forme du livre. Ces oeuvres sont souvent uniques ou réalisées en petit nombre (au même titre que certaines sculptures). En anglais, on utilise le terme book object pour définir cette pratique.
8)  Le manuel était un objet unique mais il fit l’objet d’une publication par le Musée de Philadelphie en 1987. http://www.philamuseum.org/collections/permanent/180476.html
9)  Clives Phillpot est écrivain, commissaire et directeur de la bibliothèque du MoMa à New York.

Bibliographie sélective
- Alix, Sylvie. (2007). Graphzines et autres publications d’artiste. Montréal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
- Bénichou, Anne. (2010). Introduction. Dans A. Bénichou (ed.), Ouvrir le document, enjeux et pratiques de la documentation dans les arts visuels contemporains (p.11-18). Dijon : Les presses du réel.
- Bénichou, Anne. (2010). Ces documents qui sont des oeuvres. Dans A. Bénichou(ed.), Ouvrir le document, enjeux et pratiques de la documentation dans les arts visuels contemporains (p.47-75). Dijon : Les presses du réel.
- Buren, Daniel. (1991). Daniel Buren, les écrits : 1965-1990, tome III. Bordeaux : CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux.
- Buren, Daniel. (1988). Photos-souvenirs 1965-1988. Villeurbanne : Art édition.
- Dibbets, Jan. (1970). Roodborst territorium/Sculptuur 1969. Robin Redbreastt’s territory/Sculpture 1969. Domaine d’un rouge-gorge/Sculpture 1969. Rotkehlchenterritorium/Skulptur 1969. New York : Seth Siegelaub.
- De Boüard, Marie. (2008). Les espaces d’exposition imprimés. So Multiple, no. 01, consulté à l’adresse http://www.so-multiples.com/revue/numero01.php
- Duchamp, Marcel. (1994). Duchamp du signe. Paris : Flammarion.
- Dupeyrat, Jérôme. (2011). Exposer/Publier. Journal des arts, no. 340, consulter à l’adresse http://www.artclair.com/jda/archives/docs_article/80949/exposerpublier.php
- Dupeyrat, Jérôme. (2010a). Seth Siegelaub : exposer, publier... Texte pour l’exposition 69, année conceptuelle, Toulouse : Médiathèque du musée des abattoirs. 
- Dupeyrat, Jérôme. (2010b). Revues d’artistes - Pratiques d’exposition alternatives / Pratiques alternatives à l’exposition. Revue 2-0-1, dossier revue d’artiste, consulté à l’adresse http://www.revue-2-0- 1.net/index.php?/revuesdartistes/jerome-dupeyrat/
- Dupeyrat, Jérôme. (2008). Au-delà de l’oeuvre : les livres et les éditions d’artistes comme espaces de documentation artistique. So Multiple, no.01, consulté à l’adresse http://www.so-multiples.com/revue/numero01.php
- Drucker, Johanna. (1995b). The century of artists’ books. New York : Granary Books.
- Filipovic, Elena. (2009). A museum that is not. E-Flux, journal no. 4, consulté à l’adresse  http://www.e-flux.com/journal/view/50
- Lelong, Guy. (2001). Daniel Buren. Paris : Flammarion.
- Long, Richard. (1993). Mountains and waters. New York : George Braziller Inc. 
- Moeglin-Delcroix, Anne. (2010). L’artiste en archiviste dans le livre d’artiste – Les termes d’un paradoxe. Dans Bénichou, Anne (ed.), Ouvrir le document, enjeux et pratiques de la documentation dans les arts visuels contemporains (p.25-46). Dijon : Les presses du réel.
- Moeglin-Delcroix, Anne. (2006). Sur le livre d’artiste, articles et écrits de circonstance (1981-2005). Marseille : Le mot et le reste.
- Moeglin-Delcroix, Anne. (1995). Esthétique du livre d’artiste 1960-1980. Paris : Bibliothèque Nationale de France.
- Morgan, C. Robert. (1985). Systemic books by artists.  Dans J. Lyons (ed.), Artists’ books : a critical anthology and sourcebook (p.207-222). Layton : Peregrine Smith Books.
- Panofsky, Erwin.(1969). L’oeuvre d’art et ses significations ; essaies sur « les arts visuels ». Paris : Gallimard. 
- Phillpot, Clive. (1987). Richard Long's Books & the Transmission of Sculptural Images. The Print Collector's Newsletter, September/October, p.125-128.
- Phillpot, Clive. (1985). Some contemporary artists and their books. Dans J. Lyons (ed.), Artists’ books : a critical anthology and sourcebook (p.97-132). Layton : Peregrine Smith Books.
- Poinsot, Jean-Marc. (1999). Quand l’oeuvre a lieu : l’art exposé et ses récits autorisés. Villeurbanne : Institut d’art contemporain; Genève : Musée d’art moderne et contemporain.
- Tonkin, Steven. (sans date). Cover to cover, Sol Lewitt’s artist’s books. Kenneth Tyler printmaking collection. Consulté à l’adresse http://nga.gov.au/internationalprints/Tyler/Default.cfm?MnuID=6