18 mars 2014

Installations d'atelier

Dans le cadre de l'exposition Le livre imaginé : source ouverte, je présenterai certains livres d'artiste réalisés entre 2000 et 2008 en parallèle à ce blogue. Bien que je ne considère pas Le cahier virtuel comme une oeuvre, cet espace est celui qui est le plus près de ma pratique de créateur-chercheur.








Depuis la création de ce blogue en 2007, ma production livresque a diminué considérablement. Ce phénomène provient d'une transformation de ma pratique ainsi que de la découverte de cette nouvelle interface de médiation. Avec un désir d'expérimenter l'espace plutôt que de le représenter dans mes livres d'artiste, Le cahier virtuel est devenu un lieu essentiel pour le développement de mes installations. Ainsi depuis 2008, je réalise des installations d'atelier. Plus modestes que mes oeuvres en galerie, ces explorations s'élaborent dans l'espace intime de mon atelier à la maison. Pour cette exposition, j'ai entrepris d'intensifier ces explorations et de les présenter sur ce blogue. 

Je vous invite donc à suivre l'évolution des publications intitulées Installations d'atelier ainsi qu'à lire le texte La publication d'artiste sur plateforme numérique : de la remédiation à la multiplication des possibilités de création.

La publication d'artiste sur plateforme numérique : de la remédiation à la multiplication des possibilités de création

            À travers mon parcours artistique, j'ai réalisé plusieurs livres d'artiste. M'inscrivant dans une tradition québécoise qui combine les approches européennes et américaines, j'ai exploré plusieurs formes livresques : livres altérés, graphzines[i], éditions documentatives[ii]. En concordance avec mes projets installatifs, j'ai créé des espaces graphiques évoluant dans les pages de mes livres. En 2008, j'ai délaissé cette pratique pour me consacrer à la réalisation d'installations in situ. Durant cette même période, j'ai débuté la publication du blogue de recherche Le cahier virtuel[iii] où je publie des réflexions, des documents et des expérimentations relatives à cette pratique. Tout comme le livre d'artiste, ce nouvel espace de réflexion a modifié mon rapport à la création. Cette réflexion est issue de ce cheminement.
            L’analyse de l’art repose historiquement sur la différenciation entre l’œuvre et son document. L’œuvre d’art est habituellement l’objet d’investigation et le document un instrument d’investigation ou un matériau secondaire[iv]. Dans les années soixante, les pratiques conceptuelles, in situ et processuelles ont provoqué un changement dans la manière d’envisager l'espace de l'œuvre. Les manifestations éphémères de ces pratiques ébranlent l’opposition traditionnelle entre l’œuvre et le document. Pour certains artistes, l’accumulation de documents sous forme d’inventaire vient jouer un rôle significatif dans l’élaboration de leur travail. Pour d’autres, la documentation devient une stratégie de création, de diffusion ou de médiation[v].
Bien qu’existant depuis le milieu des années trente, la publication d’artiste[vi] se développe dans ce contexte particulier. Le livre sera utilisé comme un espace contextuel fondant une nouvelle définition de l’œuvre d’art[vii]. Selon Anne Moeglin-Delcroix, le livre devient « un moyen de dématérialiser l’art tout en gardant un espace d’art[viii] ». Il est utilisé comme un véhicule de réflexion reproductible et mobile. Dans cette optique, la publication d’artiste concrétise la volonté de certains artistes de démocratiser le système marchand de l'œuvre d'art. La circulation des publications remplacera parfois celles des œuvres. Les artistes rejettent ainsi « la distinction entre ceux qui font et ceux qui savent, entre la production de l’œuvre et son commentaire[ix] » afin de prendre en charge l’œuvre, de sa création à sa diffusion.
Bien que la publication d'artiste imprimée soit toujours d'actualité, tant par ses explorations conceptuelles que matérielles, le développement de plateformes numériques offrent de nouvelles avenues. Sites internet, applications électroniques, livres numériques, blogues, réseaux sociaux proposent des lieux alternatifs de diffusion permettant l’apparition de nouvelles formes artistiques. Mais comment entrevoir ces interfaces de création? Pouvons-nous établir des parallèles entre les supports imprimés et numériques?
Pour réfléchir à ces questions, il est pertinent d’examiner le rôle de la publication d’artiste sur support imprimé. Selon Sylvie Alix, elle aurait pour première fonction de « faire revivre l’esprit de la démarche de l’artiste au terme d’une période de production[x] ». L’aboutissement de la recherche et la réalisation d'une œuvre seraient, dans beaucoup de cas, les éléments déclencheurs des projets artistiques sous forme de livre. La publication étant rarement la pratique unique de l’artiste, elle sera habituellement abordée en complémentarité à une autre pratique, notamment par des démarches littéraires, photographiques, vidéographiques, performatives et installatives. Bien que certains artistes utilisent le livre de manière plus soutenue, il apparaît généralement dans leur parcours comme une matérialisation ponctuelle.    Dans ce contexte, les publications d’artiste se présentent comme des outils privilégiés pour le développement de pratiques éphémères où la documentation devient essentielle à la diffusion. Se situant parfois au-delà de l’expérience perceptuelle directe du récepteur[xi], l’œuvre dépendra d’un système de documentation pour parvenir à une actualisation, à une médiation. Le livre deviendra le témoin d’un parcours temporel qui déborde le cadre de l’exposition et de l’événement[xii]. L'œuvre pourra ainsi intégrer des réseaux indépendants des institutions artistiques traditionnelles.
En continuité avec ce rôle, la publication d'artiste sur support numérique se présente comme un véhicule de diffusion alternative pour l'œuvre d'art. En suscitant « une nouvelle créativité de type technologique[xiii] », elle produit ses propres réseaux et intègre les flux de productions éphémères présents dans internet. Malgré cette similarité, la publication numérique ne semble cependant plus conforme à la nature du livre sous la forme du codex relié ainsi qu'à la nature linéaire des informations qu’elle dispense[xiv]. L’hypertexte présent dans les médias électroniques permet d’opérer une transformation du concept de page et de temporalité[xv]. Selon Suzanne Leblanc, ce que change l’hypertexte n’est pas tant la page mais le livre[xvi]. Avec le numérique, le concept de page ne se réduit plus aux propriétés attribuées au livre imprimé. La page constitue une manière de voir le monde, un emplacement où l’information accède à l’ordre du visuel[xvii].  Il est possible d’entrevoir la page-écran comme « un vestige de la culture de l’imprimé voué à une disparition certaine[xviii] ». Elle peut cependant être envisagée comme la remédiation d’un dispositif d’inscription de l’information[xix]. Cette remédiation[xx] repose sur la capacité de l’information à se transformer selon les contextes, elle peut être modifiée, reproduite. Les plateformes numériques remettent en question, au même titre que l'imprimé, le lien indivisible entre l’information et le support de l'œuvre.
Dans cette optique, l’œuvre-information, telle que conceptualisée dans les années soixante, se développe sous de nouvelles formes. Les médias numériques permettent ainsi d’envisager d’autres contextes et temporalités pour l’œuvre d’art. En s'éloignant de la nature du livre, les plateformes numériques modifient la linéarité des contenus. Ceux-ci deviennent fragmentés et reproductibles. À titre d'exemple, la publication sur un blogue est en continu. À l'image de la recherche archéologique, les informations sont publiées et consultées de manière chronologique, mais à rebours. Le blogue permet également de les répertorier de manière contextuelle, par catégories de libellés, ou de manière fragmentée via divers contextes et interfaces, notamment par des applications de lecture et des pages sur les réseaux sociaux. De plus, contrairement aux supports imprimés, les supports numériques peuvent être modifiés ou effacés à tout moment. Ces nouvelles possibilités de création offrent l'exploration de formes novatrices, mais elles complexifient également les logiques de conservation et d’archivage.
La remédiation des certaines fonctionnalités des supports imprimés à travers les supports numériques souligne le dialogue historique entre les médias. Cette logique formelle permet de comprendre la remodulation des concepts de page et de linéarité propre au livre imprimé afin d'établir certaines caractéristiques des publications d'artiste sur supports numériques. En développant simultanément la réflexion, la création et la médiation, ces plateformes remodèlent et réactualisent notre rapport aux médias antérieurs en multipliant les possibilités de création.



[i] Le terme graphzine est utilisé par Sylvie Alix pour décrire les livres d'artistes qui emprunte à l’esthétique de la culture graphique. Il est habituellement imprimé en sérigraphie et réalisé par des sérigraphes, des graphistes, des bédéistes, des affichistes, des illustrateurs et des infographistes. Alix, Sylvie, 2007. Graphzines et autres publications d’artiste. Montréal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
[ii] La terminologie édition documentative est développé dans les travaux de Jérôme Dupeyrat pour décrire les livres en tant que pratique artistique et espace de documentation. Dupeyrat, Jérôme, 2008. Au-delà de l’oeuvre : les livres et les éditions d’artistes comme espaces de documentation artistique. So Multiple, no.01, http://www.so-multiples.com/revue/numero01.php
[iii] http://blogaadb.blogspot.com
[iv] Panofsky, Erwin, 1969. L’oeuvre d’art et ses significations: essais sur « les arts visuels ». Paris : Gallimard, p. 37.
[v] Pour plus d'information sur les enjeux de la documentation, lire Bénichou, Anne (éd.), 2010. Ouvrir le document : enjeux et pratiques de la documentation dans les arts visuels contemporains. Dijon : Les presses du réel.
[vi] Selon Anne Moeglin-Delcroix, la dénomination livre d’artiste est ambigüe parce qu’elle fait habituellement référence à trois pratiques bien distinctes : le livre illustré, le livre d’artiste et le livre objet. Moeglin-Delcroix, Anne, 2006. Sur le livre d’artiste, articles et écrits de circonstance (1981-2005). Marseille : Le mot et le reste, p. 35. J'utilise donc le terme publication d’artiste déveveloppé par Sylvie Alix pour décrire un certain type de livre d’artiste réalisé de manière mécanique. Sylvie Alix, 2007. p. 8.
[vii] Ibid.,  p. 9.
[viii] Moeglin-Delcroix, Anne, 1995. Esthétique du livre d’artiste 1960-1980. Paris : Bibliothèque Nationale de France. p. 151.
[ix] Anne Moeglin-Delcroix, 2006. p. 193.
[x] Sylvie Alix, 2007. p. 18.
[xi] Jérome Dupeyrat, 2008. n.p
[xii] Sylvie Alix, 2007. p. 17.
[xiii] Robert, Pierre, 2007. L’art numérique en surstock. Dans N. Pitre (dir.), L’imprimé numérique en art
contemporain (p.184-189). Trois-Rivières : Édition d’art le Sabord. p. 184.
[xiv] Ces propriétés sont relevées par Anne Moeglin-Delcroix pour décrire la nature du livre d’artiste. 2006. p. 35.
[xv] Pour plus d'informations sur l'hypertexte, lire Vanderdorpe, Christian, 1999. Du papyrus à  
l’hypertexte. Essai sur les mutations du texte et de la lecture. Montréal : Édition Boréale.
[xvi] Leblanc, Suzanne, 2007. Considérations sur la page dans la culture numérique. Dans N. Pitre (dir.),
L’imprimé numérique en art contemporain (p.190-197). Trois-Rivières : Édition d’art le Sabord.
p. 193.
[xvii] Stoicheff, Peter, et Taylor, Andrew, 2004. The futur of the page. Toronto : University of Toronto Press. p. 3.
[xviii] Suzanne Leblanc, 2007. p. 190.
[xix] Leblanc, 2007, p. 194.
[xx] Pour plus d'informations sur les enjeux de la remédiation des nouveaux médias, lire Bolter, Jay
David. Grustin, Richard. 1999. Remediation, understanding new media. Cambridge, London : MIT
Press.