Mon art n’est pas un art dit engagé comme on l’entend habituellement mais je crois que je m’engage dans une recherche et dans un rapport particulier avec la société en étant une artiste. Je ne fais pas un art de contestation ou de lutte; je crois en un art de synthèse et de réflexion qui dialogue avec d’autres domaines de création (littérature, science, architecture, design, sociologie, anthropologie, etc.). Actuellement, je réfléchis sur mon rôle social en tant qu’artiste et sur les différentes fonctions possibles de l’oeuvre d’art pour mieux positionner mon travail dans un cadre social.
Dans mes projets, je m’intéresse à la notion de fabrication autant au niveau matériel que cognitif. Par une réflexion sur la notion de répétition, de reproduction mécanique (matérielle ou immatérielle) d’une forme ou d’une image, je questionne l’influence des médias et des interfaces sur la perception de notre environnement (temporalité, spatialité) et sur l’évolution de nos capacités cognitives. Je m’intéresse aux potentialités sémantiques et sémiotiques des mots, des formes et des images.
Les explorations du paysage digital sont des expériences de dessin projectif; je dessine au mur ou sur une structure via l'interface de mon ordinateur à partir d’un stylet, d’une tablette graphique et d’une souris. Ce processus me fait découvrir de nouvelles matérialités de l’image. L'interface permet des effets de transparence et d'opacité très différents du dessin sur papier et la juxtaposition d’image photographique. Le dessin interagit directement dans l'espace. J’archive ce processus de plusieurs façons : prise de photographies, captation d’écran, document image, etc. J'entrevois plusieurs possibilités avec cette technique pour des évènements de dessin projectif en temps réel, pour l'intégration d'image en mouvement à des installations et pour créer des images numériques qui préservent la trace de la fabrication de l’image. La temporalité nait de la répétition d’un geste, celui de dessiner. Nous assistons à la naissance de l’image en direct par le détournement des médias et des interfaces. L’ordinateur se transforme en médium et offre de nouveaux outils qui facilitent l’hybridation des médias. L'acte de dessiner me rend consciente de ce qui m'entoure. Dessiner c'est penser et voir en même temps.
Dans La débâcle, je questionne la fabrication sous un angle différent. Les gestes sont multiples et répétés : dessiner, imprimer, couper, plier. Je joue sur l’idée de fabrication en série, les modules se multiplient, s’emboitent, se juxtaposent pour former une topographie systématisée; c’est le jeu de la fabrique à paysage. Je réfléchis sur la notion de travail en proposant un rapport entre le travail artistique et le travail à la chaine. Le travail de l’artiste est-il un travail comme les autres? Comme artiste, le faire multiple et répété peut être considéré comme une action thérapeutique, une volonté de discipline du corps et de l’esprit (spiritualité), une folie compulsive. L’oeuvre créée de manière sérielle et mécanique est-elle forcément anonyme?
Ces deux projets proposent un nouveau rapport à l’image qui questionne l’incidence spécifique des médias, des interfaces sur nos facultés cognitives et imaginatives en parallèle à la transformation rapide de nos environnements immédiats. La qualité de l’image, le pixel, la répétition, l’accumulation participent à la création d’un monde artificiel construit de toutes pièces; un paysage graphique entre le matériel et le virtuel, entre le réel et l’imagination.